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Qu’est-ce qu’un nombre entier naturel ? Définir ou axiomatiser

La science mathématique ne cherche pas à définir la notion de nombre entier naturel, mais à comprendre l’ensemble des entiers naturels

« Dieu a fait le nombre entier, le reste est l’oeuvre des hommes. » Leopold Kronecker

1. On ne définit pas les nombres entiers naturels ! Mais on peut les représenter

1.1. Les entiers naturels comme concepts primitifs

Comme pour les ensembles (Qu’est-ce qu’un ensemble ?), il n’existe pas de définition mathématique d’un (nombre) entier naturel. Intuitivement, les nombres entiers naturels sont des concepts par lesquels nous dénombrons les quantités finies : \(0,1,2,3,\ldots\). Il existe des définitions philosophiques intéressantes : par exemple, en suivant et en paraphrasant Edmund Husserl on peut dire que le nombre entier naturel est la « forme pure de la multiplicité finie ». Cependant, rien ne peut remplacer l’intuition : comme pour le temps ou les ensembles, il n’est pas nécessaire de définir un entier naturel pour savoir ce que c’est ! Il s’agit d’un concept primitif en mathématiques, et sans lequel il n’est pas possible de bâtir ne serait-ce que la théorie naïve des ensembles (Ibid.).

1.2. Représentation des entiers naturels

Cependant, contrairement à ce qui se passe pour les ensembles, on peut représenter les entiers naturels. En effet, lorsqu’on compte un ensemble fini d’objets, on peut considérer le nombre d’éléments de cet ensemble soit comme une quantité abstraite (on parle alors de nombre cardinal), soit comme le résultat d’une énumération (on parle alors de nombre ordinal). Ces deux notions existent en général dans la théorie des ensembles (naïve ou axiomatique), et on peut alors, en disposant de la notion d’ensemble fini (qui doit être définie rigoureusement elle aussi ! voir Le fini et l’infini mathématiques),  représenter les entiers naturels comme les ordinaux finis (qui sont aussi les cardinaux finis).

Edmund Husserl, philosophe autrichien et allemand du 19ème et du 20ème siècles

E.Husserl 

2. La mathématique cherche plutôt à comprendre l’ensemble des nombres entiers naturels, grâce à un système d’axiomes

2.1. La science de l’ensemble des entiers naturels

Plutôt que de chercher à définir les entiers naturels, la science mathématique s’intéresse à les comprendre dans leur totalité, c’est-à-dire comme un ensemble. Le philosophe grec Aristote disait : « il n’y a de science que du général »; autrement dit, la démarche scientifique cherche des connaissances concernant des classes d’objets similaires, et pas des objets individuels (à moins qu’on considère une classe comme un objet !) : il y a une science de tel type d’arbre, mais pas de tel arbre en particulier. Grâce à la théorie des ensembles, on peut étudier de manière scientifique l’ensemble des nombres entiers naturels, qu’on note \(\mathbb N\).

2.2. Les axiomes de Peano

En utilisant des axiomes, c’est-à-dire des énoncés admis comme vrais mais indémontrables les uns à partir des autres, dits de Peano (du nom du mathématicien et linguiste italien Giuseppe Peano), on donne un jeu de propriétés qui détermine l’ensemble \(\mathbb N\) de manière unique. Autrement dit, deux ensembles avec ces mêmes propriétés, même s’ils sont différents, sont indiscernables sur le plan mathématique : on dit qu’ils sont isomorphes. Ces axiomes sont des propriétés élémentaires de l’opération qui consiste à ajouter 1 à tout entier naturel, et est appelée « l’application successeur ». On peut formuler comme suit les axiomes de Peano :

  1. Le nombre entier naturel \(0\) n’est le successeur d’aucun nombre
  2. Si deux entiers naturels \(m\) et \(n\) ont le même successeur, alors \(m=n\)
  3. Si S est un sous-ensemble de \(\mathbb N\) tel que \(0\in S\) et tel que \(n+1\in S\) dès que \(n\in S\), alors \(S\) est l’ensemble \(\mathbb N\) tout entier (principe de récurrence).
Giuseppe Peano, mathématicien et linguiste italien du 19ème et du 20ème siècles

G. Peano 

3. Reconstituer la « structure » des entiers naturels grâce aux axiomes de Peano

3.1. Représentation ordinale des entiers

Cela signifie que pour étudier les nombres entiers naturels, il n’est pas besoin de savoir ce qu’ils sont – ou de les définir formellement, ni même de savoir ce qu’est l’ensemble \(\mathbb N\) : les axiomes suffisent. Il en sera de même pour les nombres réels (voir Qu’est-ce qu’un nombre réel ?). Bien sûr, cela n’exclut pas qu’en avoir une représentation soit commode; mais il ne s’agit que d’une représentation… Par exemple, si l’on considère que \(\mathbb N\) est (isomorphe à) l’ensemble des ordinaux finis, on peut représenter \(0\) comme \(\emptyset\), \(1\) comme \(\{\emptyset\}\), \(2\) comme \(\{\emptyset,\{\emptyset\}\}\), etc…

3.2. Reconstituer la structure de l’ensemble \(\mathbb N\)

A partir des axiomes de Peano, on peut alors définir ou reconstituer toute la « structure naturelle » de l’ensemble \(\mathbb N\), c’est-à-dire les opérations d’addition (\(+\)) et de multiplication (\(\times\)) des entiers, et les relations d’ordre (\(\leq\) et \(<\)) et de divisibilité (\(|\)), puisque qu’on peut additionner, multiplier et comparer des quantités finies. Dans un sens précis qui dépasse le cadre de cet article, on peut en effet définir les opérations \(+\) et \(\times\) grâce au principe de récurrence, et les trois relations à partir de là.

Kurt Gödel, logicien et mathématicien autrichien du 20ème siècle

K. Gödel 

4. La fécondité de la méthode axiomatique : arithmétique, infini, récursivité

En particulier, toute l’arithmétique naturelle (relation de divisibilité, nombres premiers, bases de numération…) – ainsi que beaucoup de mathématiques qui dépassent celles du seul ensemble \(\mathbb N\) – se déduit de ces seuls axiomes.

Le principe de récurrence est lié aux ensembles infinis (et permet de les caractériser (c’est-à-dire de les identifier par des propriétés) par rapport à l’ensemble \(\mathbb N\). Il ouvre également sur la théorie de la récursivité, cadre possible des célèbres théorèmes d’incomplétude de Kurt Gödel, et base de l’informatique théorique, notamment en lien avec les machines de Turing, du nom du mathématicien Alan Turing. C’est aussi et avant tout un principe fondamental de démonstration et de construction mathématiques, et il se généralise en théorie des ensembles à ce qu’on appelle la « récurrence » transfinie.

Alan Turing, mathématicien et cryptologue britannique du 20ème siècle

A. Turing 

En somme…

Nous savons intuitivement ce que sont les entiers naturels, comme le temps ou les ensembles. Nous pouvons en donner une définition philosophique, et une représentation mathématique. Mais pour les comprendre comme une généralité, ce dont nous avons besoin est une description univoque au sens mathématique, laquelle nous est donnée par les axiomes de Peano. Avec la théorie des ensembles, ces axiomes permettent de structurer de nombreux aspects de l’univers mathématique.

Retrouvez l’article en vidéo sur MATHESIS, la chaîne YouTube :


Pour aller plus loin

  • La théorie élémentaire des nombres entiers naturels se développe à partir de seuls axiomes de Peano, jusqu’aux théorèmes arithmétiques fondamentaux sur les nombres premiers entre eux et les nombres premiers. Découvrez la théorie axiomatique des ensembles \(\mathbb N\), \(\mathbb Z\) et \(\mathbb Q\) dans le cours numéro 3 du semestre I de MATHESIS :

Mathesis 1.3 : Arithmétique Elémentaire (Des nombres entiers naturels aux nombres rationnels)

  • Les axiomes de Peano sont ceux de la fonction successeur, qui permet d’établir l’infinité de l’ensemble \(\mathbb N\). Découvrez la théorie des ensembles finis et infinis dans le cours numéro 2 du semestre I de MATHESIS :

Mathesis 1.2 : Ensembles, Applications et Numération (Du fini à l’infini mathématique)


 

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