Les corps finis traduisent sur le plan structurel certaines propriétés arithmétiques et servent de « corps de restes » en théorie des nombres. Par analogie avec les corps $\mathbb R$ des nombres réels et $\mathbb C$ des nombres complexes, le nombre $-1$ peut y posséder une racine carrée ou non : en général, on peut déterminer dans quels cas cela se produit, à partir d’une étude élémentaire générale des carrés dans les corps finis de cardinal impair, qui débouche sur le critère d’Euler.
1.Racines carrées de $-1$ dans les corps classiques
1.1.Les corps classiques de caractéristique nulle
Rappelons que les corps sont des ensembles contenant les « nombres » $0$ et $1$, et où l’on peut additionner, soustraire et multiplier, et diviser par tout élément non nul (voir La structure des corps finis). Cette « structure » mathématique est essentielle en arithmétique et en géométrie, et ces deux types de propriétés sont étroitement liées. En parlant de corps « classiques », nous évoquons ici l’ensemble $\mathbb Q$ des nombres rationnels, l’ensemble $\mathbb R$ des nombres réels, et l’ensemble $\mathbb C$ des nombres complexes, dont la caractéristique est nulle (c’est-à-dire, où aucune somme finie non vide de la forme $1+1+\ldots+1$ ne peut être nulle). Ces corps sont donc infinis puisqu’ils contiennent une « copie » de l’anneau $\mathbb Z$ des nombres entiers relatifs, et si certaines de leurs propriétés arithmétiques et géométriques sont analogues, d’autres sont en revanche radicalement différentes, et ceci tient essentiellement à leur « structure algébrique », c’est-à-dire à la manière dont sont « entremêlées » les opérations d’addition et de multiplication.
1.2.Le nombre $-1$ n’est le carré d’aucun nombre réel
Dans le corps $\mathbb R$ des nombres réels, et a fortiori dans le corps $\mathbb Q$ des nombres rationnels, on dispose d’un ordre linéaire : ceci signifie qu’il existe une relation d’ordre strict $<$ entre les nombres réels, celle que l’on connaît bien, et que l’on peut toujours comparer deux nombres réels $x$ et $y$ différents : on a soit $x<y$, soit $y<x$. A cause de cette propriété, le nombre réel $-1$ ne peut pas posséder de racine carrée réelle : en effet, cet ordre linéaire est compatible à la structure de corps, au sens notamment où si $x,y$ sont deux nombres réels strictement positifs, leur produit $x.y$ est aussi strictement positif, et où la multiplication par $-1$ change le signe des nombres réels. Cela signifie en particulier que le carré d’un nombre réel est nécessairement positif : on a $0^2=0$, qui est positif, et si $x\neq 0$, alors soit $x>0$ (et alors $x^2=x.x>0$), soit $x<0$ (et alors $-x>0$, donc $(-x)^2=(-1)^2.(-x)^2=(-x)^2>0$, puisque $(-1)^2=1$, ce qu’on voit par exemple en développant le produit nul $(1+(-1))^2$).
1.3.Racines carrées de $-1$ dans les corps algébriquement clos
Ainsi, le nombre réel $-1$ ne possède pas de racine carrée dans l’ensemble des nombres réels, et a fortiori pas dans l’ensemble des nombres rationnels non plus. Or, cette propriété permet en fait de définir l’ordre sur les nombres réels, au sens où les éléments de tout corps dans lequel $-1$ n’est pas une somme de carrés peuvent être ordonnés, et ce n’est possible que d’une seule manière dans l’ensemble $\mathbb R$. La positivité des sommes de carrés est d’ailleurs ce qui permet de définir la distance euclidienne dans les espaces euclidiens, et donc de développer toute la géométrie euclidienne classique ! L’inexistence de certaines racines carrées étant ce qui permet d’ordonner les nombres réels, et de développer de manière analytique toute la géométrie euclidienne, puisque tout nombre complexe possède une racine carrée il est impossible en revanche d’ordonner les nombres complexes : on perd certaines propriétés géométriques, même si on les recouvre d’une autre manière. Mais en général, dans tout corps algébriquement clos (voir [La structure des corps finis : Corps algébriquement clos]) le polynôme $X^2+1$ possède une racine, autrement dit $-1$ possède une racine carrée ! C’est donc le cas pour la clôture algébrique de n’importe quel corps fini, et pas seulement pour les nombres complexes. Mais tandis que pour les corps classiques, l’existence de racines carrées pour $-1$ est liée à la possibilité d’ordonner les éléments, pour les corps finis ce n’est pas le cas : aucun corps fini ne peut être ordonné de manière compatible à la multiplication, et pourtant dans certains d’entre eux $-1$ ne possède pas de racine carrée, et on peut précisément déterminer lesquels.
2.Racines carrées dans les corps finis
2.1.La fonction carrée dans les corps finis
La théorie des corps finis (ibid.) est une manière d’interpréter certains phénomènes arithmétiques. Nous les avons associés aux nombres primaires, c’est-à-dire aux puissances finies non nulles des nombres premiers, et nous avons expliqué pourquoi le nombre d’éléments d’un corps fini $\mathbb F$ est toujours de cette forme $q=p^r$ pour $p$ premier et $r>0$. Ainsi, un tel corps $\mathbb F$ est alors essentiellement l’ensemble noté $\mathbb F_q$ des racines du polynôme $X^q-X$ (dans une clôture algébrique du corps premier $\mathbb F_p$). L’ensemble noté $\mathbb F_q^\times$ des éléments non nuls du corps fini $\mathbb F_q$ possède alors $q-1$ éléments, et puisque le produit de deux éléments non nuls d’un corps est non nul, on peut considérer ici la fonction carrée $f$ de $\mathbb F_q^\times$ dans $\mathbb F_q^\times$, qui élève chaque élément $x$ non nul de $\mathbb F_q$ au carré. Or, le carré d’un produit est le produit des carrés, autrement dit si $x,y\in\mathbb F_q$ on a $(x.y)^2=x^2.y^2$, ou encore $f(x.y)=f(x).f(y)$. Dans le langage de la théorie des groupes, $f$ est ainsi un homomorphisme de groupes, d’où l’on déduit notamment que si $p=2$, alors $f$ est une bijection (tout élément du corps $\mathbb F_q$ est un carré), tandis que si $p$ est impair, alors $-1\neq 1$ et donc l’image de $f$ possède $(q-1)/2$ éléments : dans ce cas, seule la moitié des éléments non nuls de $\mathbb F_q$ sont des carrés, et il nous faut identifier dans quels cas $-1$ en fait partie ou non.
2.2.Le critère d’Euler
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