Structure et topologie de la droite réelle

L’ensemble des nombres réels, quelle que soit la manière dont il est présenté, défini ou construit, n’est pas une multiplicité « amorphe », mais il vient avec une « structure » naturelle, héritée en dernière analyse de la structure arithmétique de l’ensemble des nombres entiers naturels. Cette structure est celle formée par l’addition et la multiplication des nombres, ainsi que l’ordre naturel qui permet de les comparer. Cet ordre, avec ses propriétés uniques, définit une « topologie » sur la droite réelle, c’est-à-dire une « structure locale » qui permet d’analyser finement les phénomènes de convergence des suites de nombres réels et de limite des fonctions réelles en un point. La topologie de la droite réelle repose essentiellement sur les segments et les intervalles comme sous-ensembles particuliers, et sur la propriété de la borne supérieure, à partir de laquelle est rendue possible toute l’analyse réelle.

1.La structure de la droite réelle

1.1.La droite réelle est un corps ordonné

L’analyse réelle, qui étudie notamment les propriétés des suites et fonctions à valeurs réelles, s’appuie sur la structure de la droite réelle, c ‘est-à-dire de l’ensemble $\mathbb R$. Cette structure est d’abord celle d’un « corps » (« field » en anglais) où l’on peut réaliser des additions et des soustractions, des multiplications et des divisions par un nombre non nul. Mais ce corps est aussi totalement ordonné : rappelons que si $x,y\in\mathbb R$ sont deux nombres réels, on a $x<y$, $x=y$ ou $x>y$, et que cet ordre est fondamentalement associe à la structure algébrique précédente, dans le sens suivant :

Proposition 1
Soient $x,y,z$ des nombres réels.
i) Si $x<y$, alors $x+z<y+z$
ii) Si $x<y$ et $0<z$, alors $xz<yz.$

En fait, l’ensemble $\mathbb R$ est ce qu’on appelle un corps réel clos, où l’ordre naturel $<$ est entièrement déterminé par la structure algébrique ! En effet, pour tous nombres réels $x<y$ on a $x<y$ si et seulement si $y-x$ est un carré non nul; par analogie, si $m,n$ sont deux nombres entiers naturels, rappelons qu’on a $m<n$ si et seulement si il existe un entier naturel non nul $p$ tel que $m+p=n$.

1.2.La droite réelle est un corps archimédien complet

Ceci étant dit, les propriétés précédentes ne sont pas encore suffisantes pour l’analyse. Il faut souligner ensuite, à propos des entiers naturels, qu’ils sont « cofinaux » dans l’ensemble des nombres réels, autrement dit qu’on a la propriété suivante, dite « d’Archimède » :

Proposition 2 (propriété d’Archimède)
Si $x$ est un nombre réel, alors il existe un entier naturel $n$ tel que $x<n$.

Cette propriété très simple possède de nombreuses conséquences. Par exemple, si $x$ est un nombre réel quelconque, par la propriété d’Archimède soit $n$ un entier naturel tel que $x<n$ : l’ensemble des entiers relatifs $m$ qui sont inférieurs à $x$ est donc majoré par $n$, et il existe alors un plus grand entier relatif $m$ tel que $m\leq x$ : on l’appelle la partie entière de $x$, qu’on peut noter $E(x)$, et qui par définition possède la propriété suivante :

Proposition 3
Si $x$ est un nombre réel, on a $E(x)\leq x < E(x)+1$.

La partie entière est une forme de généralisation continue de la division euclidienne, et permet entre autres les développements de nombres réels dans une base de numération (voir par exemple Plus de réels que de rationnels).
Les corps ordonnés possédant la propriété d’Archimède sont dits « archimédiens » (par exemple, l’ensemble $\mathbb Q$ est lui aussi un corps archimédien). L’ordre définit alors une notion de « suite de Cauchy », utilisée par exemple pour la construction même d’un modèle de l’ensemble $\mathbb R$ (voir Qu’est-ce qu’un nombre réel ?), et par construction le corps ordonné $\mathbb R$ est « complet », autrement dit toute suite de Cauchy de nombres réels (c’est-à-dire toute suite qui converge potentiellement) est convergente (c’est-à-dire, possède une limite). Ainsi, l’ensemble $\mathbb R$ se caractérise sur le plan structurel comme le représentant unique du concept suivant :

Théorème 1
Il n’existe essentiellement qu’un seul corps ordonné et archimédien complet, le corps des nombres réels.

2.Ordre et topologie de la droite réelle

2.1.Segments et intervalles

L’ordre naturel induit une topologie sur la droite $\mathbb R$, c’est-à-dire une structure « locale » qui permet de décrire les phénomènes infinitésimaux. Cette topologie naturelle est essentiellement prise en compte par les intervalles réels :

Définition 1
i) Un segment de $\mathbb R$ est un sous-ensemble de la forme $[a,b]=\{x\in \mathbb R : a\leq x\leq b\}$, où $a\leq b$ sont des nombres réels
ii) Un intervalle de $\mathbb R$ est un sous-ensemble $I$ tel que pour tous $a,b\in I$ avec $a\leq b$, le segment $[a,b]$ est inclus dans $I$.

Intuitivement, les intervalles sont donc les parties « connexes » de $\mathbb R$, au sens où deux quelconques de leurs points y sont « connectés » par un segment; cette notion est rendue précise en topologie générale. On peut classer les intervalles, et parmi eux on distingue :

  • les intervalles fermés (les segments, mais aussi les intervalles de la forme $(-\infty,a]=\{x\in \mathbb R : x\leq a\}$ ou de la forme $[a,+\infty)=\{x\in \mathbb R : a\leq x\}$, ainsi que $\mathbb R$ lui-même)
  • les intervalles ouverts (de la forme $]a,b[=\{x\in \mathbb R : a<x<b\}$ avec $a\leq b$, $(-\infty,a[=\{x\in \mathbb R : x<a\}$ ou $]a,+\infty)=\{x\in \mathbb R : a<x\}$, ainsi que $\mathbb R$ lui-même)
  • d’autres intervalles ni ouverts ni fermés (comme les intervalles semi-ouverts $[a,b[=\{x\in \mathbb R : a\leq x<b\}$ et $]a,b]=\{x\in \mathbb R : a<x\leq b\}$ avec $a\leq b$)
  • l’ensemble vide qui est bien sûr un intervalle, de plusieurs façons.

2.2.Majorants, minorants, bornes

La caractérisation des intervalles réels comme étant essentiellement de l’une des formes précédentes repose sur la propriété de la borne supérieure, pierre de touche de l’analyse réelle. Les notions duales de borne supérieure et borne inférieure sont basées sur les notions de majorant ou de minorant :

Définition 2
Soit $S$ une partie de $\mathbb R$.
i) Un majorant de $S$ est un nombre réel $M$ tel que $x\leq M$ pour tout $x\in S$; s’il existe un majorant de $S$, on dit que $S$ est majorée
ii) Un minorant de $S$ est un nombre réel $m$ tel que $m\leq x$ pour tout $x\in S$; s’il existe un minorant de $S$, on dit que $S$ est minorée
iii) Une borne de $S$ est un majorant ou un minorant de $S$. On dit que $S$ est bornée si $S$ possède un majorant et un minorant.

Les types d’intervalles introduits au paragraphe précédent fournissent de nombreux exemples :

  • les intervalles de la forme $[a,+\infty),]a,+\infty),[a,b],]a,b]$ ou $]a,b[$ sont tous minorés (par tout nombre réel $\leq a$)
  • les intervalles de la forme $(-\infty,b],(-\infty,b[,[a,b],]a,b]$ et $]a,b[$ sont tous majorés (par tout nombre réel $\geq b$)
  • les intervalles de la forme $(-\infty,a],(-\infty,a[,]b,+\infty)$ ou $[b,+\infty)$ ne sont pas bornés, au contraire des intervalles de la forme $[a,b],[a,b[,]a,b]$ ou $]a,b[$ (bornés par tout minorant de $a$ et tout majorant de $b$).

3.La propriété de la borne supérieure

3.1.Bornes supérieure et inférieure

Les notions de majorant et de minorant ne suffisent pas à distinguer certaines situations analogues mais fondamentalement différentes sur le plan topologique. Par exemple, les deux intervalles $]a,+\infty)$ et $[a,+\infty)$ sont minorés (par $a$), mais non majorés, mais alors que tous deux contiennent la suite de nombres réels $(a+1/n)$, le second contient sa limite (le nombre $a$), tandis que le premier ne la contient pas : c’est la différence essentielle entre un intervalle ouvert (le premier) et un intervalle fermé (le second). De même, les deux intervalles $(-\infty,b[$ et $(-\infty,b]$ doivent être distingués sur le plan topologique, ainsi que les intervalles $]a,b]$ et $[a,b]$, $[a,b[$ et $[a,b]$, etc… A chaque fois, ce qui permet de les distinguer est l’appartenance ou non à l’intervalle d’une borne très particulière, soit le plus grand minorant possible (par exemple $a$ pour les intervalles $]a,+\infty)$, $[a,+\infty)$, $[a,b[$, $]a,b[$,…), soit le plus petit majorant possible (par exemple $b$ pour les intervalles $(-\infty,b[$, $(-\infty,b]$, $]a,b]$, $]a,b[$,…). Ces notions ne dépendent pas de leur appartenance ou non à l’intervalle considéré, ce qui nous amène au concept fondamental suivant :

Définition 3
Soit $S$ une partie de $\mathbb R$.
i) Une borne supérieure de $S$ est un plus petit majorant de $S$
ii) Une borne inférieure de $S$ est un plus grand minorant de $S$.

Précisons ces définitions : si $S$ est majorée, par définition l’ensemble de ses majorants n’est pas vide, et si cet ensemble possède un plus petit élément (un élément inférieur à tous les autres), alors c’est par définition une borne supérieure de $S$. De même, si $S$ est minorée, alors un plus grand élément de l’ensemble de ses minorants est une borne inférieure de $S$. Mais la borne inférieure, ou la borne supérieure, n’existent évidemment pas toujours.

Exemple 1
i) Tout nombre réel $a$ est la borne inférieure des intervalles $]a,+\infty)$, $[a,+\infty)$, $[a,b[$ et $]a,b]$
ii) Tout nombre réel $b$ est la borne supérieure des intervalles $(-\infty,b[$, $(-\infty,b]$, $[a,b[$ et $]a,b]$
iii) L’ensemble $\mathbb Z$ ne possède aucune borne supérieure ni inférieure, car il n’est ni minoré, ni majoré.

3.2.La propriété de la borne supérieure

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