Les angles de vecteurs sont les angles orientés habituels de la géométrie euclidienne plane. Grâce aux ressources de la théorie naïve des ensembles, on les définit de manière purement algébrique grâce à une relation d’équivalence et aux rotations vectorielles du plan. L’opération de composition des rotations se transporte alors sur l’addition des angles.
1.Angles orientés de demi-droites : des angles de vecteurs
L’intuition des angles avec une orientation
Dans Le cercle trigonométrique : où Pythagore rencontre Thalès, nous avons considéré les angles orientés de manière intuitive, sans les définir rigoureusement. Un angle orienté est intuitivement une « ouverture » entre deux segments (par exemple dans une figure) ou en général deux demi-droites, basés au même point. Toutefois, cette ouverture est considérée avec son sens, horaire ou anti-horaire : si \(D_1\) et \(D_2\) sont deux demi-droites basées au même point \(M\), l’angle orienté entre \(D_1\) et \(D_2\) n’est pas le même que l’angle orienté entre \(D_2\) et \(D_1\). Un angle orienté étant déterminé par deux demi-droites, par une translation on peut toujours considérer que les demi-droites sont basées en l’origine du plan, le point \(O=(0,0)\).

Par la translation de vecteur \(\overrightarrow{MO}\), les demi-droites \(D_1\) et \(D_2\) sont envoyées sur les demi-droites \(D_1’\) et \(D_2’\), et les angles orientés \(\alpha\) et \(\beta\) sont égaux
Remplacer les demi-droites par des vecteurs
Or, un couple de demi-droites basées en \(O\) est déterminé par les points d’intersection respectifs \(M_1\) et \(M_2\) de \(D_1\) et \(D_2\) avec le cercle \(S^1\). Mais les points du plan euclidien peuvent se concevoir aussi comme des vecteurs, donc le cercle trigonométrique \(S^1\) est à la fois l’ensemble des points \(M\) de \(\mathbb R^2\) tels que \(OM=1\) et l’ensemble des vecteurs unitaires du plan. Un vecteur \(\vec u=(x,y)\in\mathbb R^2\) est en effet dit unitaire s’il est de norme (euclidienne) \(1\), soit si \(||\vec u||=\sqrt{x^2+y^2}=1\). La donnée du couple \((D_1,D_2)\) peut donc être remplacée par celle des deux vecteurs unitaires \(\vec{u_1}=M_1\) et \(\vec{u_2}=M_2\). Autrement dit, nous aurions pu définir les angles orientés comme angles entre deux vecteurs unitaires, et c’est le point de vue que nous adoptons à présent.

L’angle orienté \(\alpha\) entre les demi-droites \(D_1\) et \(D_2\) est l’angle des vecteurs \(\vec{u_1}\) et \(\vec{u_2}\) déterminés par l’intersection de \(D_1\) et \(D_2\) avec le cercle trigonométrique
Principe d’une définition par relation d’équivalence
Mathématiquement, les angles orientés se définissent rigoureusement par une relation d’équivalence, comme pour la construction de \(\mathbb Z\) à partir de \(\mathbb N\), de \(\mathbb Q\) à partir de \(\mathbb Z\) ou encore de \(\mathbb R\) à partir de \(\mathbb Q\). Un angle orienté étant déterminé par deux vecteurs unitaires, on considère qu’un couple \((\vec u,\vec v)\) de tels vecteurs représente un tel angle. Mais deux couples de vecteurs \((\vec u,\vec v)\) et \((\vec{u’},\vec{v’})\) peuvent représenter le même angle, lorsqu’intuitivement l’angle entre \(\vec u\) et \(\vec v\) est le même que l’angle entre \(\vec{u’}\) et \(\vec{v’}\). Précisément, c’est le cas exactement lorsqu’il existe une rotation qui transforme l’un en l’autre. On considère donc les angles orientés comme classes d’équivalence de couples de vecteurs unitaires.
Une définition mathématique rigoureuse
Donnons à partir de là une définition exacte des angles orientés ou angles de vecteurs. On considère l’ensemble \(E\) de tous les couples \((\vec u,\vec v)\) de vecteurs unitaires, ou ce qui revient au même, de points du cercle trigonométrique. Définissons une relation d’équivalence sur \(E\) en décrétant que deux éléments de \(E\), c’est-à-dire deux couples \((\vec u,\vec v)\) et \((\vec{u’},\vec{v’})\) de vecteurs unitaires sont équivalents si il existe une rotation vectorielle \(r\) qui « transforme \(\vec u\) en \(\vec {u’}\) et \(\vec v\) en \(\vec{v’}\) ». Un angle orienté ou angle de vecteurs est alors, par définition, une classe d’équivalence de couples \((\vec u,\vec v)\) de vecteurs unitaires pour cette relation. Autrement dit, c’est l’ensemble des couples \((\vec{u’},\vec{v’})\in E\) équivalents à un même couple \((\vec u,\vec v)\) donné. On note \([(\vec u,\vec v)]\) un tel angle, et l’un quelconque de ces couples est une représentation de l’angle \([(\vec u,\vec v)]\).

Les deux couples de vecteurs unitaires \((\vec{u},\vec{v})\) et \((\vec{u’},\vec{v’})\) représentent le même angle \(\alpha\), car une même rotation transforme \(\vec u\) en \(\vec{u’}\) et \(\vec v\) en \(\vec{v’}\).
2.Le groupe des angles de vecteurs
Représentation standard d’un angle de vecteurs
Si \(\vec\alpha=[(\vec u,\vec v)]\) est un angle de vecteurs, il en existe de multiples représentations. Parmi celles-ci, un couple peut être distingué, qui est de la forme \((\vec i,\vec v’)\), où \(\vec i\) est le vecteur \((1,0)\) qui dirige la demi-droite des abscisses positives. En effet, le couple \((\vec u,\vec v)\) est une représentation de \(\vec\alpha\), et il existe toujours une rotation unique qui envoie un point quelconque de \(S^1\) sur un autre point donné de \(S^1\), donc un vecteur unitaire sur un vecteur unitaire donné. On considère alors la rotation \(r\) qui envoie \(\vec u\) sur \(\vec i=(0,1)\). Cette rotation transforme \(\vec v\) en un vecteur unitaire \(\vec{v’}\), et on a donc \(\vec\alpha=[(\vec i,\vec{v’})]\). Nous appellerons \((\vec i,\vec{v’})\) la représentation standard de l’angle (orienté) \(\vec\alpha\).
Bijection entre les rotations et les angles
Il existe une bijection entre l’ensemble \(\mathcal R\) des rotations vectorielles du plan et le cercle trigonométrique \(\mathcal S^1\) (revoir Rotations vectorielles du plan : l’approche « analytique »), qui associe à une rotation \(r\) décrite comme \(r(x,y)=(ax-by,bx+ay)\) le point ou vecteur \((a,b)\). Il est donc possible d’associer aussi à une telle rotation un angle de vecteurs : en considérant le vecteur \(\vec u=r(\vec i)\), soit \(\vec u=(a,b)\) (le point de \(S^1\) déterminé par \(r\)…) on obtient l’angle \([(\vec i,\vec u)]\). A partir de la bijection entre \(\mathcal R\) et \(S^1\), on démontre facilement qu’on obtient ainsi une nouvelle bijection \(f\) entre l’ensemble des rotations vectorielles et l’ensemble \(\mathcal A\) des angles de vecteurs. Si \(r\) est une rotation, l’angle correspondant, \(f(r)\), est par définition l’angle de la rotation \(r\).

L’angle de vecteurs \(\alpha=[(\vec i,\vec u)]\) est l’angle de la rotation \(r\) qui envoie \(\vec i\) sur \(\vec u\)
Addition et soustraction des vecteurs
Or, l’intuition géométrique nous dit qu’on peut additionner et soustraire des angles de vecteurs. Pour définir rigoureusement cette addition, on peut revenir à la définition, et utiliser les classes d’équivalence. Il est toutefois possible de procéder par ce qu’on appelle un « transport de structure ». En effet, puisque l’ensemble \(\mathbb R\) des rotations vectorielles planes est un groupe commutatif, on peut utiliser la bijection \(f\) entre \(\mathcal R\) et \(\mathcal A\) pour définir l’addition des angles. Si \(\vec\alpha\) et \(\vec\beta\) sont deux angles orientés, il existe deux rotations uniquement déterminées \(r\) et \(s\) d’angles respectifs \(\vec\alpha\) et \(\vec\beta\), c’est-à-dire tels que \(f(r)=\vec\alpha\) et \(f(s)=\vec\beta\). On définit alors la somme \(\vec\alpha+\vec\beta\) comme l’angle de la rotation composée \(r\circ s\) (faire \(s\), puis \(r\)), soit \(f(r\circ s)\). Puisque les rotations « commutent » entre elles (les rotations \(r\circ s\) et \(s\circ r\) sont égales), cette somme est aussi \(f(s\circ r)\), soit \(\vec\beta+\vec\alpha\).
La transformation inverse d’une rotation est une rotation, et donc l’opposé de \(\vec\alpha\) est l’angle noté \(-\vec\alpha\), de la rotation \(r^{-1}\). Ceci signifie qu’on peut soustraire des angles : \(\vec\alpha-\vec\beta=\vec\alpha +(-\vec\beta)\). L’angle nul, noté \(\vec 0\) et égal à \([(\vec u,\vec u)]\) pour tout vecteur unitaire \(\vec u\), est celui de l’identité du plan, et on a toujours \(\vec\alpha+\vec 0=\vec 0+\vec\alpha=\vec\alpha\) et \(\vec \alpha+(-\vec\alpha)=\vec 0\). Autrement dit, l’angle nul est le « zéro » de l’addition des angles, et l’ensemble \(\mathcal A\) est ainsi un groupe commutatif. Par construction, la bijection \(f\) entre \(\mathcal R\) et \(\mathcal A\) est alors un isomorphisme de groupes. On dispose ainsi d’une troisième représentation du même objet mathématique essentiel : le groupe \(\mathcal R\) des rotations vectorielles planes, le groupe \(S^1\) des nombres complexes de module \(1\) ou cercle trigonométrique, et le groupe \(\mathcal A\) des angles de vecteurs.
3.Conclusion : le concept d’angle est algébrique
Comme nous l’avons remarqué à propos des rotations vectorielles du plan, celles-ci sont définies de manière purement algébrique (l’usage de la méthode « analytique », par coordonnées, ne doit pas être confondue avec « l’analyse » réelle comme théorie des fonctions de \(\mathbb R\) dans \(\mathbb R\)). Le lecteur attentif aura remarqué que la définition des angles de vecteurs, ainsi que de leurs opérations, n’utilise comme « structure » que la dualité entre algèbre (vecteurs) et géométrie (points) dans le plan, et les rotations vectorielles.
Ceci signifie que comme dans le cas des rotations vectorielles, tout ce qui a été fait ici peut être reproduit dans le plan \(K^2\) défini sur un sous-corps \(K\) de \(\mathbb R\). Ainsi, contrairement à l’intuition habituelle des angles qui sont conçus comme des objets « continus », la conceptualisation rigoureuse moderne des angles de la géométrie euclidienne, possible ici grâce à la théorie naïve des ensembles, ne fait pas appel à l’analyse réelle. La mesure de ces angles, en revanche, nécessite l’usage des fonctions trigonométriques, mais c’est une autre histoire.
Pour aller plus loin
Commencer en mathématiques : Mathesis I.1 – Entrer dans l’Univers Mathématique
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