L’anneau des entiers de Gauss \(\mathbb Z[i]\) possède des propriétés remarquables, analogues à celles de l’ensemble \(\mathbb Z\) des nombres entiers relatifs. Il existe toute une famille de tels anneaux, possédant des propriétés similaires, et définis aussi à partir d’une racine carrée d’un entier relatif \(d\) sans facteur carré. Dans ces « anneaux d’entiers quadratiques », on peut étudier comme dans \(\mathbb Z[i]\) le devenir des entiers naturels premiers, et l’associer également aux racines carrées résiduelles de \(d\).
1. Anneaux d’entiers quadratiques
Dans La ramification imaginaire des nombres premiers, nous avons classé les entiers naturels premiers \(p\) comme entiers de Gauss, selon leurs propriétés arithmétiques, en trois types : inertes (\(p\) congru à \(3\) modulo \(4\)), ramifié (\(p=2\)) et décomposé (\(p\) congru à \(1\) modulo \(4\)). Cette classification n’est pas un cas isolé, et le théorème 1 (ibid.) ne repose que sur le fait que l’entier relatif \(-1\) n’est divisible par aucun carré d’un facteur premier. La théorie s’étend ainsi naturellement à ce qu’on appelle les anneaux d’entiers quadratiques.
1.1. Extensions quadratiques de \(\mathbb Q\)
On dit qu’un entier relatif \(d\neq 1\) est sans facteur carré, si il n’est divisible par le carré d’aucun nombre premier. Par exemple, \(-1\), \(14\) et \(p\) pour \(p\) premier sont sans facteur carré, mais pas \(9\) (le carré de $3$) ou \(-12\) (divisible par $4$). Si \(d\) est sans facteur carré et différent de \(1\), on note alors \(\mathbb Q(\sqrt d)\) l’ensemble des nombres complexes de la forme \(z=x+y\sqrt d\), où \(x,y\in \mathbb Q\) sont des nombres rationnels. L’ensemble \(\mathbb Q(\sqrt d)\) est alors un sous-corps de \(\mathbb C\), c’est-à-dire qu’on peut y additionner, soustraire, multiplier et diviser par un élément non nul (voir Les corps finis pour le notion de corps) : on dit que c’est une extension quadratique de \(\mathbb Q\). Si \(d>0\), c’est un sous-corps de \(\mathbb R\), tandis que si \(d<0\) (par exemple \(d=-1\)) il contient des nombres complexes non réels, par exemple \(i\sqrt{-d}\). Si tous les nombres de \(\mathbb Q(\sqrt d)\) sont réels (cas où \(d>0\)), on dit qu’on a une extension quadratique réelle, sinon (cas où \(d<0\)), qu’on a une extension quadratique imaginaire. Si on choisit des entiers $d$ sans facteur carré, c’est parce que dans ce cas, le sous-corps $\mathbb Q(\sqrt d)$ est un espace vectoriel de dimension $2$ sur $\mathbb Q$, et on peut démontrer que réciproquement, tout sous-corps de $\mathbb C$ ayant cette propriété est une extension quadratique de $\mathbb Q$ par une racine carrée d’un tel entier.
1.2. Anneaux d’entiers quadratiques
De même que parmi les nombres rationnels on distingue les entiers relatifs (qu’on appelle aussi entiers rationnels), parmi les éléments d’une extension quadratique \(\mathbb Q(\sqrt d)\) on distingue des entiers, à partir de la généralisation d’une propriété des entiers relatifs. En effet, on peut démontrer que les entiers relatifs sont exactement les nombres rationnels \(x\) qui sont solutions d’une équation de la forme \(X^n+a_1X^{n-1}+\ldots +a_{n-1}X+a_n=0\), avec \(a_1,\ldots,a_n\in\mathbb Z\) et \(n>0\). On dira par analogie qu’un nombre \(z\in \mathbb Q(\sqrt d)\) est entier si il vérifie une équation de ce type. Or, comme pour les entiers de Gauss, qui font partie de l’extension quadratique \(\mathbb Q(i)=\mathbb Q(\sqrt{-1})\), on peut définir le conjugué d’un nombre \(z=x+y\sqrt d\in \mathbb Q(\sqrt d)\), comme le nombre complexe \(\overline z=x-y\sqrt d\). Lorsque $z$ n’est pas rationnel, le polynôme de degré minimal le plus simple dont les racines sont \(z\) et \(\overline z\) est donc \((X-z)(X-\overline z)=X^2-(z+\overline z)X+z\overline z\), dont en général les coefficients fournissent deux nombres rationnels particuliers appelés la trace de \(z\), \(Tr(z)=z+\overline z=2x\), et sa norme, \(N(x)=z.\overline z=x^2-y^2d\), et on démontre que \(z\) est entier exactement lorsque \(Tr(z)\) et \(N(z)\) eux-mêmes sont des entiers relatifs. L’ensemble des nombres \(z\in \mathbb Q(\sqrt d)\) qui sont entiers en ce sens forme un sous-anneau (c’est-à-dire qu’on peut y additionner, soustraire et multiplier), et les anneaux de ce type sont appelés anneaux d’entiers quadratiques, réels ou imaginaires selon le type de \(\mathbb Q(\sqrt d)\).
1.3. Exemples
Ainsi, l’anneau \(\mathbb Z[i]\) des entiers de Gauss est l’anneau des entiers de l’extension quadratique imaginaire \(\mathbb Q(i)\) des nombres complexes à coordonnées rationnelles, où l’on reconnaît la conjugaison complexe et la norme utilisées précédemment. Il faut prendre garde que si dans cet exemple, les entiers de \(\mathbb Q(i)\) sont simplement les nombres complexes de la forme \(a+ib\) avec \(a,b\) entiers relatifs, ce n’est pas le cas en général ! Par exemple, l’anneau des entiers de l’extension quadratique réelle \(\mathbb Q(\sqrt 5)\) est l’ensemble noté \(\mathbb Z[(1+\sqrt 5)/2]\) de tous les nombres réels de la forme \(x+y(1+\sqrt 5)/2\), pour \(x,y\in\mathbb Z\); on reconnaît ici le nombre d’or \(\phi=(1+\sqrt 5)/2\). La règle qui permet de décrire les entiers d’une extension quadratique \(\mathbb Q(\sqrt d)\) en général, est la suivante :
- Si \(d\) est congru à \(2\) ou \(3\) modulo \(4\) (c’est-à-dire $d-2$ ou $d-3$ est divisible par $4$, par exemple $d=\ldots,-10,-6,-5,-2,-1,2,3,6,7,10,\ldots$) alors l’anneau des entiers de \(\mathbb Q(\sqrt d)\) est l’ensemble \(\mathbb Z[\sqrt d]\) des nombres de la forme \(a+b\sqrt d\) pour \(a,b\) entiers relatifs (premier exemple)
- Si \(d\) est congru à \(1\) modulo \(4\) (c’est-à-dire $d-1$ est divisible par $4$, par exemple $d=\ldots,-19,-15,-11,-7,-3,5,13,17,21,29,\ldots$), alors l’anneau des entiers de \(\mathbb Q(\sqrt d)\) est l’ensemble \(\mathbb Z[\omega]\) des nombres de la forme \(a+b\omega=\frac{2a+b}{2}+\frac{b\sqrt d}{2}\) pour \(a,b\) entiers relatifs, où cette fois-ci \(\omega=\frac{1+\sqrt d}{2}\) (second exemple).
Le cas où \(d\) est congru à \(0\) modulo \(4\) est bien sûr exclu, puisque \(d\) ne possède aucun facteur carré, et la situation n’a aucun rapport avec la nature réelle ou imaginaire de l’extension \(\mathbb Q(\sqrt d)\), laquelle ne dépend que du signe de \(d\). On note \(\mathbb Z_{(d)}\) l’anneau des entiers d’une extension quadratique \(\mathbb Q(\sqrt d)\).
2. Inertie, décomposition et ramification
2.1. Remplacer les nombres par des (nombres) idéaux
Les anneaux \(\mathbb Z\) et \(\mathbb Z[i]\) sont dits euclidiens : on peut y faire une division euclidienne. En général, les anneaux d’entiers quadratiques ne sont pas euclidiens; cela n’empêche toutefois pas d’y étendre les notions liées à la ramification. Mais pour cela, nous ne pouvons plus utiliser les restes des divisions euclidiennes, et il nous faut introduire des notions algébriques différentes. La première consiste à remplacer les nombres par des idéaux (qu’on appelait autrefois nombres idéaux), ce qui a été une étape décisive du développement de la théorie des nombres et de l’algèbre commutative. Un idéal d’un anneau \(A\), ici de \(\mathbb Z_{(d)}\), est un sous-ensemble \(I\) de \(A\) qui est stable par addition et par multiplication par un élément quelconque : autrement dit, si \(x,y\in I\) et \(a\in \mathbb Z_{(d)}\), on doit avoir \(x+y\in I\) et \(a.x\in I\) (voir Anneaux, homomorphismes et quotients pour plus de détails). Nous avons déjà rencontré des idéaux : l’ensemble des multiples entiers \(n\mathbb Z\) d’un entier naturel \(n\) est un idéal. Or, un entier naturel premier \(p\) « engendre » un idéal \(I=p\mathbb Z\), qu’on dit lui-même premier : si \(x,y\in\mathbb Z\) et si le produit \(x.y\) est un élément de \(I\), on a soit \(x\in I\), soit \(y\in I\). Les idéaux premiers remplaceront alors avantageusement les nombres premiers pour l’étude de la ramification.
2.2. Les quotients de \(\mathbb Z_{(d)}\) par un nombre premier
Dans « La ramification imaginaire des nombres premiers« , nous avons interprété le devenir d’un nombre premier naturel $p$ dans l’anneau $\mathbb Z[i]=\mathbb Z_{(-1)}$ des entiers de Gauss, notamment en étudiant les racines carrées « résiduelles » de $-1$ modulo $p$, c’est-à-dire les racines carrées de $-1$ parmi les restes dans la division euclidienne des entiers de Gauss par $p$. Puisqu’en général, on ne dispose pas de division euclidienne dans un anneau d’entiers quadratiques $\mathbb Z_{(d)}$, nous devons interpréter ces restes à partir de la théorie des anneaux (voir Anneaux, homomorphismes et quotients, op. cit.). Si donc $d$ est un entier relatif sans facteur carré et $p$ un entier naturel premier, on considère l’idéal $p\mathbb Z_{(d)}$ de tous les multiples de $p$ dans $\mathbb Z_{(d)}$, c’est-à-dire des nombres de la forme $p\times z$, pour $z\in \mathbb Z_{(d)}$ : on peut alors former l’anneau quotient $\mathbb Z_{(d)}/p\mathbb Z_{(d)}$. Or, on a un homomorphisme naturel $\mathbb F_p\to \mathbb Z_{(d)}/p\mathbb Z_{(d)}$, qui associe à la classe $[n]$ de l’entier $n$ modulo $p$, sa classe (comme élément de $\mathbb Z_{(d)}$) modulo $p\mathbb Z_{(d)}$, si on considère ici $\mathbb F_p$ comme le quotient $\mathbb Z/p\mathbb Z$ (voir Les corps finis, op. cit.). On dit que $\mathbb Z_{(d)}/p\mathbb Z_{(d)}$ est une $\mathbb F_p$-algèbre.
2.3.Premiers inertes, décomposés et ramifiés dans $\mathbb Z_{(d)}$
En particulier, l’anneau quotient $A=\mathbb Z_{(d)}/p\mathbb Z_{(d)}$ est un espace vectoriel sur le corps $\mathbb F_p$, dont une base est donnée par les classes de $1$ et $\sqrt d$ (si $d$ est congru à $2$ ou $3$ modulo $4$) ou par les classes de $1$ et $\frac{1+\sqrt d}{2}$ (si $d$ est congru à $1$ modulo $4$). Ainsi, $A$ est en bijection avec le produit cartésien $\mathbb F_p\times \mathbb F_p$, c’est donc un anneau fini contenant $p^2$ éléments. En distinguant alors entre trois types de structure possibles pour $A$, selon la nature de ses idéaux maximaux, on peut étendre les notions d’inertie, décomposition et ramification de $p$ dans ce contexte, par des moyens purement algébriques. En effet, dans une telle situation trois possibilités mutuellement exclusives se présentent :
Théorème 1
1) Soit l’idéal $(0)$ est le seul idéal maximal de $A$, qui est donc un corps (ici le corps $\mathbb F_{p^2}$ à $p^2$ éléments)
2) Soit il y a deux idéaux maximaux distincts $M_1$ et $M_2$, et alors $A$ est isomorphe comme anneau au produit $\mathbb F_p\times \mathbb F_p$
3) Soit il n’y a qu’un seul idéal maximal, non nul, $M$, et $A$ est isomorphe comme groupe additif au produit $\mathbb F_p \times M$, la multiplication étant décrite par $([n],a).([m],b)=([nm],[n].a+[m].b)$.
Dans le premier cas, on dit que $p$ est inerte dans $\mathbb Z_{(d)}$ (l’anneau $A$ est un corps à $p^2$ éléments), dans le second cas on dit que $p$ est décomposé dans $\mathbb Z_{(d)}$ (l’anneau $A$ est un produit de deux corps à $p$ éléments), dans le troisième cas on dit que $p$ est ramifié dans $\mathbb Z_{(d)}$ (l’anneau $A$ est dit local et possède une structure « infinitésimale »).
3.Extensions des nombres premiers
3.1.Anneaux quadratiques principaux
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Un anneau commutatif unitaire et intègre $A$ est dit principal, si tout idéal $I$ de $A$ est l’ensemble des multiples d’un élément $a$ donné, c’est-à-dire est de la forme $(a)=\{ax : x\in A\}$. Un anneau principal est « presque euclidien », au sens où un élément générateur $a$ d’un idéal $I$ est comme un « reste modulo $I$ ». Tous les anneaux d’entiers quadratiques ne sont pas principaux, mais dans le cas où ils le sont, l’étude précédente se simplifie, ce qui permet de clarifier la classification des entiers naturels premiers dans $\mathbb Z_{(d)}$. Rappelons que si $z=x+y\sqrt d$ est un entier quadratique de $\mathbb Q(\sqrt d)$, c’est-à-dire un élément de $\mathbb Z_{(d)}$, son conjugué est $\overline z=x-y\sqrt d$, et que sa norme est le nombre entier $N(z)=z\overline z=x^2-y^2d$. Un élément $\pi$ de $\mathbb Z_{(d)}$ est alors dit premier si l’idéal $(\pi)=\pi\mathbb Z_{(d)}$ des multiples de $\pi$ est premier, autrement dit si, dès que $\pi$ divise un produit $z\times w$ de nombres dans $\mathbb Z_{(d)}$, alors $\pi$ divise $z$ ou $\pi$ divise $w$. Si $p$ est un entier naturel premier impair, on peut alors donner deux caractérisations du « devenir » de $p$ dans $\mathbb Z_{(d)}$, sous la forme suivante :
Théorème 2
Si $d$ est un entier relatif sans facteur carré tel que $\mathbb Z_{(d)}$ est principal et $p$ un entier naturel premier impair, alors sont équivalents :
i) $p$ n’est pas premier dans $\mathbb Z_{(d)}$
ii) $d$ est un carré dans le corps $\mathbb F_p=\mathbb Z/p\mathbb Z$
iii) $p$ est de la forme $\pm N(\pi)=\pi\overline\pi$, pour $\pi$ un élément premier de $\mathbb Z_{(d)}$.
3.2.Interprétation principale de la trichotomie
Nous pouvons alors donner une interprétation des trois cas du théorème 1 à la lumière des caractérisations du théorème 2. Comme dans « La ramification des nombres premiers » (op. cit.), si $z\in \mathbb Z_{(d)}$ on dit que $z$ et $\overline z$ sont associés s’il existe un élément inversible $u$ de $\mathbb Z_{(d)}$ tel que $z=u\times \overline z$, et dissociés dans le cas contraire (notons que la norme d’un élément inversible est un entier inversible, c’est-à-dire $1$ ou $-1$). La terminologie adoptée ici est alors une généralisation de celle qui est introduite pour les entiers de Gauss, au sens de la trichotomie suivante :
Théorème 3
Si $d$ est un entier relatif sans facteur carré tel que $\mathbb Z_{(d)}$ est principal, et $p$ un entier naturel premier impair, alors :
1) $p$ est inerte dans $\mathbb Z_{(d)}$ si et seulement si $p$ est premier dans $\mathbb Z_{(d)}$ (cas où l’idéal $p\mathbb Z_{(d)}$ des multiples de $p$ dans $\mathbb Z_{(d)}$ est maximal)
2) $p$ est décomposé dans $\mathbb Z_{(d)}$ si et seulement si $p$ n’est pas premier dans $\mathbb Z_{(d)}$ et $p=\pi\times\overline\pi$ avec $\pi$ premier et $\pi$ et $\overline\pi$ dissociés (cas où l’idéal $p\mathbb Z_{(d)}$ est contenu dans les deux idéaux maximaux distincts $\pi\mathbb Z_ {(d)}$ et $\overline\pi\mathbb Z_{(d)}$)
3) $p$ est ramifié dans $\mathbb Z_{(d)}$ si et seulement si $p$ n’est pas premier dans $\mathbb Z_{(d)}$ et $p=\pi\times\overline\pi$ avec $\pi$ premier et $\pi$ et $\overline\pi$ associés (cas où l’idéal $p\mathbb Z_{(d)}$ est contenu dans l’idéal maximal $\pi\mathbb Z_{(d)}=\overline\pi\mathbb Z_{(d)}$).
Exemple 1
Un anneau $A$ est dit euclidien si il existe dans $A$ une division euclidienne (par exemple, $\mathbb Z$ est $\mathbb Z[i]$ sont euclidiens); tout anneau euclidien est principal.
i) L’anneau $A=\mathbb Z_{(2)}$ est euclidien, donc principal, et puisque $2\equiv 9$ modulo $7$, $2$ est un carré modulo $7$ : par le théorème 2, $7$ n’est pas premier dans $A$, et puisque $2$ est congru à $2$ modulo $4$, les éléments de $A$ sont de la forme $x+y\sqrt 2$, avec $x,y$ entiers. On a en fait $N(3+\sqrt 2)=(3+\sqrt 2).(3-\sqrt 2)=7$, décomposition en éléments entiers non inversibles, et puisque $(3+\sqrt 2)/(3-\sqrt 2)=(3+\sqrt 2)^2$ n’est pas entier, les éléments $3+\sqrt 2$ et $3-\sqrt 2$ sont dissociés et par le théorème 3, $7$ est décomposé dans $\mathbb Z_{(2)}$.
ii) De même, l’anneau $\mathbb Z_{(5)}$ est euclidien, donc principal, et nous avons vu que ses éléments sont de la forme $x+y\phi$, où $\phi=\frac{1+\sqrt 5}{2}$ est le nombre d’or et $x,y\in\mathbb Z$. L’entier naturel premier $3$ n’est pas un carré modulo $5$, donc par les théorème 2 et 3, $3$ est inerte, c’est-à-dire premier, dans $\mathbb Z_{(5)}$. D’un autre côté, comme en (i) $11$ est un carré modulo $5$, donc $11$ n’est pas premier dans $\mathbb Z_{(5)}$; on a en fait $11=16-5=N(4+\sqrt 5)$, donc $z=4+\sqrt 5$ est entier et $11=z.\overline z$, et comme $z/\overline z=(21/11)+(8/11)\sqrt 5$ n’est pas entier, $z$ et $\overline z$ sont là aussi dissociés, donc $11$ est décomposé dans $\mathbb Z_{(5)}$.
iii) On peut démontrer que $\mathbb Z_{(-3)}$ est euclidien, donc principal. Puisque $-3$ est congru à $0$ modulo $3$, $3$ n’est pas premier dans $\mathbb Z{(-3)}$, et puisque $3=(\sqrt{-3})(-\sqrt{-3})$ et $\sqrt{-3}/-\sqrt{-3}=-1$, $3$ est ramifié dans $\mathbb Z_{(-3)}$. Le même raisonnement montre que pour tout entier naturel $p$ tel que $\mathbb Z_{(-p)}$ est principal, $p$ est ramifié dans $\mathbb Z_{(-p)}$.
3.3.Interprétation générale de la trichotomie
En général, les anneaux d’entiers quadratiques $\mathbb Z_{(d)}$ ne sont pas principaux. Cela signifie en particulier que la « décomposition » éventuelle d’un entier naturel premier $p$ dans $\mathbb Z_{(d)}$ ne peut pas toujours s’exprimer sous la forme $p=\pi\overline\pi$ d’un produit de deux éléments premiers (conjugués). C’est pour cette raison qu’ont été inventés les idéaux (voir Anneaux, homomorphismes et quotients, op. cit.), appelés originellement nombres idéaux. En effet, là où l’on ne peut plus décomposer des nombres, on peut encore décomposer des idéaux, si l’on remarque qu’on peut multiplier ceux-ci. Si $I$ et $J$ sont deux idéaux d’un anneau commutatif $A$, on définit le produit de $I$ et $J$ comme l’ensemble noté $I.J$, et dont les éléments sont les sommes finies de produits $x.y$, pour $x\in I$ et $y\in J$, dont on vérifie qu’il s’agit d’un idéal. Ainsi, en général la trichotomie du théorème 1, reformulée dans le théorème 3, s’interprète à partir des possibilités de « décomposition » l’idéal $p\mathbb Z_{(d)}$ en produit de deux idéaux :
Théorème 4
Soient $d$ un entier relatif sans facteur carré et $p$ un entier naturel premier impair.
i) $p$ est inerte dans $\mathbb Z_{(p)}$ si et seulement si $p\mathbb Z_ {(p)}$ est un idéal maximal de $\mathbb Z_{(p)}$
ii) $p$ est décomposé dans $\mathbb Z_{(p)}$ si et seulement si $p\mathbb Z_{(p)}$ est le produit de deux idéaux maximaux distincts $P_1$ et $P_2$ dans $\mathbb Z_{(d)}$ (soit $p\mathbb Z_{(d)}=P_1.P_2$)
iii) $p$ est ramifié dans $\mathbb Z_{(p)}$ si et seulement si $p\mathbb Z_{(p)}$ est le carré d’un idéal maximal $P$ de $\mathbb Z_{(d)}$ (soit $p\mathbb Z_{(d)}=P^2=P.P$).
Dans tous ces anneaux, les idéaux maximaux sont des idéaux premiers, qui remplacent ainsi les nombres ou éléments premiers pour fournir une décomposition de l’idéal $p\mathbb Z_{(d)}$, lorsque la décomposition de $p$ n’existe pas. Evidemment, dans le cas où $\mathbb Z_{(d)}$ est principal, si $p$ est décomposé sous la forme $p=\pi.\overline\pi$ les idéaux $P_1$ et $P_2$ sont $\pi\mathbb Z_{(d)}$ et $\overline\pi\mathbb Z_{(p)}$, et si $p$ est ramifié sous la forme $p=\pi.\overline\pi$ l’idéal $P$ est $\pi\mathbb Z_{(d)}=\overline\pi \mathbb Z_{(d)}$.
3.4.Trichotomie et carrés résiduels
Le théorème 2 a été énoncé également en termes d’anneaux principaux. On peut en démontrer une version générale en étudiant le statut de $d$ dans $\mathbb F_p$ (carré ou non, voir Racines carrées dans les corps finis pour une étude générale) et préciser le nombre de premiers impairs tombant sous chaque cas :
Théorème 5
Si $d$ est un entier relatif sans facteur carré et $p$ un entier naturel premier impair, alors on a :
i) $p$ est inerte dans $\mathbb Z_{(d)}$ si et seulement si $d$ n’est pas un carré modulo $p$, et l’ensemble des entiers naturels premiers inertes dans $\mathbb Z_{(d)}$ est infini
ii) $p$ est décomposé si et seulement si $d$ est un carré non nul modulo $p$, et l’ensemble des premiers décomposés dans $\mathbb Z_{(d)}$ est infini
iii) $p$ est ramifié si et seulement si $p$ divise $d$, et l’ensemble des premiers ramifiés dans $\mathbb Z_{(d)}$ est fini.
Exemple 2
i) L’anneau $A=\mathbb Z_{(-5)}$ n’est pas principal, et $-5$ est congru à $3$ modulo $4$, donc les éléments de $A$ sont de la forme $x+y\sqrt{-5}$, avec $x,y$ entiers. Comme $-5\equiv 9$ modulo $7$, c’est aussi un carré dans $\mathbb F_7$, et en fait on a $(7)=(3+\sqrt{-5})\cap (3-\sqrt{-5})$, et par une version général du théorème des restes, on en déduit que $(7)=(3+\sqrt{-5}).(3-\sqrt{-5})$ (aucun des deux idéaux $I_1=(3+\sqrt{-5})$ et $I_2=(3-\sqrt{-5})$ n’est principal, c’est-à-dire engendré par un seul élément). Ici encore, on a $I_1\neq I_2$, donc $7$ est décomposé dans $\mathbb Z_{(-5)}$.
ii) Sans se préoccuper de savoir si $\mathbb Z_{(d)}$ est principal ou non, par le théorème 5 les entiers naturels premiers ramifiés dans $\mathbb Z_{(d)}$ sont les facteurs premiers de $d$. Ainsi, dans $\mathbb Z_{(-6)}$ (qui n’est pas principal), les premiers ramifiés sont $2$ et $3$. De même, dans $\mathbb Z_{(17589)}$, les premiers ramifiés sont $3,11,13$ et $41$.
3.5.Le cas du nombre $2$
Comme souvent en arithmétique ou en géométrie, le nombre premier $2$ présente des propriétés particulières. Les résultats précédents ont en effet été établis en supposant que le nombre premier $p$ est impair, et on a vu que dans le cas des entiers de Gauss ($d=-1$), $2$ est le seul entier naturel premier ramifié. En général, les trois situations sont possibles ! Puisque $d$ est choisi sans facteur carré, il faut distinguer les cas où $d$ est congru à $1$, $2$, ou $3$ modulo $4$, et distinguer dans le premier cas les sous-cas où $d$ est congru à $1$ ou à $5$ modulo $8$. La situation est alors entièrement clarifiée par la classification suivante :
Théorème 6
Si $d$ est un entier relatif sans facteur carré, alors :
i) Si $d$ est congru à $2$ ou à $3$ modulo $4$, $2$ est ramifié dans $\mathbb Z_{(d)}$
ii) Si $d$ est congru à $1$ modulo $8$, $2$ est décomposé dans $\mathbb Z_{(d)}$
iii) Si $d$ est congru à $5$ modulo $8$, $2$ est inerte dans $\mathbb Z_{(d)}$.
Exemple 3
i) Puisque $5$ et $-3$ sont congrus à $5$ modulo $8$, $2$ est inerte dans $\mathbb Z_{(5)}$ et $\mathbb Z_{(-3)}$.
ii) Puisque $-7$ est congru à $1$ modulo $8$, $2$ est décomposé dans $\mathbb Z_{(-7)}$. Cependant, même si cet anneau est euclidien (donc principal), cela ne signifie pas qu’on peut y « décomposer » $2$ sous la forme $2=\pi.\overline\pi$ comme dans le théorème 3. Une telle décomposition est en effet impossible, car pour tout élément $z=x+y\sqrt{-7}$ de $\mathbb Z_{(-7)}$, on a $z.\overline z=N(z)=x^2+7y^2$, qui ne peut jamais être égal à $2$.
iii) Puisque $-2$ est congru à $2$ modulo $4$, et $11$ est congru à $3$ modulo $4$, $2$ est ramifié dans $\mathbb Z_{(-2)}$ et $\mathbb Z_{(11)}$. C’est aussi le cas dans $\mathbb Z_{(2)}$, qui est euclidien, et où on peut écrire la décomposition $2=(2+\sqrt 2).(2-\sqrt 2)$. Dans ce cas, on a $(2+\sqrt 2)/(2-\sqrt 2)=(2+\sqrt 2)^2/2=3+2\sqrt 2$, qui est inversible puisque $N(3+2\sqrt 2)=3^2-2.2^2=1$, donc on a une décomposition sous la forme $2=\pi.\overline\pi$ avec $\pi$ et $\overline \pi$ associés, comme dans le théorème 3 pour les premiers impairs.
Conclusion
Les notions d’inertie, décomposition et ramification se généralisent de l’anneau des entiers de Gauss à tous les anneaux d’entiers quadratiques, et cette « trichotomie » des entiers naturels premiers est étroitement associée à l’étude des carrés dans les corps résiduels correspondant. Les anneaux d’entiers quadratiques ne sont pas tous euclidiens, ni même principaux, et la décomposition des entiers naturels premiers doit en général se faire sous la forme de produit de « nombres idéaux » premiers. Ceux-ci ont été inventés pour cette raison, et ces idées sont à la base de la théorie algébrique des nombres, qu’on traite via l’étude des anneaux « d’entiers de corps de nombres » grâce à la notion d’anneau de Dedekind, mais on en trouve aussi des échos en géométrie algébrique.
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