Les rotations vectorielles du plan (c’est-à-dire centrées en l’origine), se dérivent de manière analytique (par coordonnées) comme applications linéaires de déterminant \(1\), ce qui permet de les caractériser intégralement et de les identifier aux points du cercle trigonométrique, leur composition correspondant à la multiplication complexe.
1.Rotations vectorielles du plan
Rotations vectorielles
La notion de rotation dans le plan euclidien \(\mathbb R^2\) se conçoit bien sur le plan de l’intuition. Une rotation est une « transformation » du plan (une bijection du plan sur lui-même) qui en fait « tourner » les points autour d’un point fixe donné, son centre. Une rotation est dite vectorielle si son centre est l’origine \(O=(0,0)\) du plan. La compréhension des rotations du plan repose sur celle des rotations vectorielles, que nous considérons ici.
Applications linéaires
La description rigoureuse du concept de rotation (vectorielle) se fait grâce aux notions d’application linéaire et de norme euclidienne. Une application linéaire est une fonction \(f:\mathbb R^2\to \mathbb R^2\), qui « préserve l’addition et la multiplication par une constante sur chaque coordonnée ». Autrement dit, si \((x,y),(u,v)\in\mathbb R^2\) sont deux vecteurs du plan et \(a,b\in\mathbb R\) deux nombres réels, on demande que \(f(a.(x,y)+b.(u,v))=a.f(x,y)+b.f(u,v)\) (rappelons que \((x,y)+(u,v)=(x+u,y+v)\) et que \(a.(x,y)=(a.x,a.y)\)). On peut démontrer qu’une application linéaire \(f:\mathbb R^2\to \mathbb R^2\) est toujours de la forme \(f(x,y)=(ax+by,cx+dy)\), pour des nombres réels \(a,b,c,d\) uniquement déterminés. Le nombre réel \(ad-bc\) est appelé déterminant de \(f\).
Norme et isométries vectorielles
La norme (euclidienne) d’un vecteur \((x,y)\in\mathbb R^2\) du plan est le nombre réel \(||(x,y)||=\sqrt{x^2+y^2}\). Une isométrie (vectorielle) du plan est une application linéaire \(f:\mathbb R^2\to \mathbb R^2\) qui « préserve » la norme des vecteurs. Autrement dit, une telle application possède la propriété suivante : pour tout vecteur \((x,y)\in\mathbb R^2\), on a \(||f(x,y)||=||(x,y)||\). En revenant à la description précédente d’une application linéaire \(f\) à partir de coefficients \(a,b,c,d\), ceci s’interprète de manière analytique (à partir des coordonnées) comme \(\sqrt{x^2+y^2}=\sqrt{(ax+by)^2+(cx+dy)^2}\).
Définition analytique des rotations vectorielles
On peut démontrer que le déterminant d’une isométrie vectorielle du plan ne peut être que \(1\) ou \(-1\), et une rotation (vectorielle) du plan est alors par définition une isométrie vectorielle de déterminant \(1\) (une isométrie de déterminant \(-1\) est une symétrie orthogonale par rapport à une droite vectorielle). Dans ce cas, on a aussi \(a=d\) et \(b=-c\), et une rotation est alors exactement une application \(f:\mathbb R^2\to \mathbb R^2\) de la forme \(f(x,y)=(ax-by,bx+ay)\), avec \(a,b\) deux nombres réels tels que \(a^2+b^2=1\), c’est-à-dire tels que le point \(a,b\) est sur le cercle trigonométrique. Autrement dit, il existe une bijection entre l’ensemble des rotations vectorielles planes et le cercle trigonométrique \(S^1\), qui échange la rotation \(r\) décrite par \(r(x,y)=(ax-by,bx+ay)\) et le point \((a,b)\) du cercle \(S^1\).

La rotation vectorielle du plan qui envoie le point \(A=(x,y)\) sur le point \(B=(u,v)\) correspond au point \(M\) du cercle trigonométrique, de coordonnées \((a,b)\) telles que \((ax-by,bx+ay)=(u,v)\).
2.Rotations vectorielles et cercle trigonométrique
Le groupe des rotations vectorielles planes
En utilisant cette approche, on peut en fait démontrer aussi que chaque rotation vectorielle \(r\) définit une bijection du plan euclidien \(\mathbb R^2\) sur lui-même. Il suffit pour cela « d’inverser » le système d’équations suivant : \[\left\{\begin{array}{ll} ax-by = u\\bx+ay = v,\end{array}\right.\] où \((u,v)\) et \((x,y)\) sont des points du plan liés par \((u,v)=r((x,y))\), si \(r(x,y)=(ax-by,bx+ay)\). Autrement dit, les conditions sur \(a\) et \(b\) qui caractérisent une rotation permettent d’exprimer \((x,y)\) en fonction de \((u,v)\), sous la forme \((u,v)=(au+bv,-bu+av)\). Or, puisque ceci revient à établir que \(r\) est une bijection et à décrire sa bijection inverse \(r^{-1}\), on voit que l’inverse d’une rotation est elle-même une rotation, ici \(r^{-1}(x,y)=(ax+by,-bx+ay)\).
Par ailleurs, la composition de deux rotations est elle-même une rotation. En effet, si \(r(x,y)=(ax-by,bx+ay)\) et \(s(x,y)=(cx-dy,dx+cy)\) sont deux rotations, en appliquant \(r\) puis \(s\) on peut décrire l’application \(s\circ r(x,y)\) comme \(s(r(x,y))=s(ax-by,bx+ay)=((ca-db)x-(cb+ad)y,(cb+ad)x+(ca-db)y)\). On calcule alors facilement \((ca-db)^2+(cb+ad)^2=1\), si bien que \(s\circ r\) est bien une rotation. Puisque l’application identique \(Id:\mathbb R^2\to \mathbb R^2\) décrite par \(Id((x,y))=(x,y)\), qui laisse invariant le plan euclidien, est elle-même une rotation, on voit que l’ensemble des rotations vectorielles du plan est un groupe pour l’opération de composition des applications (en fait un sous-groupe du groupe des isométries vectorielles). On note ici \(\mathcal R\) ce groupe des rotations.
Isomorphie entre les groupes \((\mathcal R,\circ)\) et \((S^1,\times)\)
Nous avons évoqué l’existence d’une bijection entre l’ensemble \(\mathcal R\) des rotations vectorielles et le cercle trigonométrique \(S^1\), qui échange la rotation \(r(x,y)=(ax-by,bx+ay)\) et le point \((a,b)\). Or, on peut effectuer une opération de multiplication entre les points du cercle \(S^1\), à partir de la multiplication complexe (voir Qu’est-ce qu’un nombre complexe ? Une approche géométrique simple). En effet, le cercle trigonométrique est l’ensemble des nombres complexes de module \(1\), donc la multiplication de deux points \(z,w\) de \(S^1\) est encore un point de \(S^1\), puisque \(|z\times w|=|z|\times |w|=1\). Par ailleurs, l’inverse de \(z\) étant \(\dfrac{\overline z}{|z|^2}=\overline z\) si \(z\in S^1\), l’inverse d’un élément de \(S^1\) est aussi dans \(S^1\), puisque |z|=|\overline z|.
Autrement dit, le cercle \(S^1\) est aussi un groupe pour la multiplication complexe, et la bijection entre \(\mathcal R\) et \(S^1\) « échange » ces deux structures de groupes, en « transformant » la composition des rotations en la multiplication des nombres complexes correspondants. En d’autres termes, d’un point de vue algébrique, l’ensemble \(\mathcal R\) des rotations vectorielles et le cercle trigonométrique \(S^1\) sont « essentiellement » le même objet mathématique.
Les rotations agissent sur les points de \(S^1\)
Une autre façon de voir leur rapport, est de considérer que les rotations vectorielles « agissent » en fait sur les points du cercle \(S^1\). Mathématiquement, cela signifie qu’une telle rotation transforme un point de ce cercle en un autre point de ce cercle. Ceci paraît évident sur le plan de l’intuition : toute rotation centrée en l’origine du plan devrait « agir » sur des points du plan en conservant leur distance à l’origine, puisque c’est une isométrie. Grâce à la description analytique donnée précédemment, il est possible d’en dire plus : si \(M=(x,y)\) et \(N=(u,v)\) sont deux points du cercle trigonométrique, il existe une unique rotation qui envoie \(M\) sur \(N\). Pour déterminer celle-ci, on reprend le système d’équations précécent, qu’on résout cette fois-ci pour identifier \(a\) et \(b\). On trouve une unique solution, soit \(a=\dfrac v y,b=-\dfrac u y\) si \(x=0\) (c’est-à-dire si \(M=(0,1)\)), ou \(a=xu+yv,b=xv-yu\) si \(x\neq 0\) (c’est-à-dire si \(M\neq (0,1)\).
La méthode analytique – c’est-à-dire par coordonnées – permet donc de décrire de manière transparente les rotations vectorielles du plan et leur relation aux points du cercle trigonométrique.

On peut calculer les coefficients \(a\) et \(b\) de la rotation vectorielle plane \(r\) qui envoie le point \(M=(x,y)\) sur le point \(N=(u,v)\) du cercle trigonométrique comme \(a=xu+yv\) et \(b=xv-yu\).
3.Rotations et sous-corps de \(\mathbb R\)
Sous-corps de \(\mathbb R\)
Un sous-corps de l’ensemble \(\mathbb R\) des nombres réels est un sous-ensembles \(K\) de \(\mathbb R\) qui contient \(0\) et \(1\) et est « fermé » pour les opérations \(+\) et \(\times\), ainsi que pour l’inversion de ses éléments non nuls. Autrement dit, c’est un sous-ensemble \(K\) de \(\mathbb R\) vérifiant les propriétés suivantes :
- \(0,1\in K\)
- si \(a,b\in K\), alors \(a+b\in K\) et \(a.b\in K\)
- si \(a\in K\) et \(a\neq 0\), alors \(1/a\in K\).
Il existe de nombreux sous-corps de \(\mathbb R\) : l’ensemble \(\mathbb Q\) en est un exemple, et on peut montrer facilement que tout sous-corps de \(\mathbb R\) contient \(\mathbb Q\). L’ensemble noté \(\mathbb Q(\sqrt 2)\) des nombres réels de la forme \(a+b\sqrt 2\), avec \(a,b\in\mathbb Q\) est un autre exemple. L’ensemble \(C\) des nombres constructibles (à la règle et au compas) est encore un autre exemple.
Le plan affine associé à un sous-corps
Si \(K\) est un sous-corps de \(\mathbb R\), on peut alors former le « plan affine » associé à \(K\) : il s’agit de l’ensemble \(K^2=K\times K\), analogue du plan euclidien \(\mathbb R^2\) associé à \(\mathbb R\). L’ensemble \(K^2\) des couples \((a,b)\) d’éléments de \(K\) est alors un sous-ensemble du plan \(\mathbb R^2\). Le fait que \(K\) soit un sous-corps permet de reproduire dans \(K^2\) toute la géométrie affine : on peut parler de droites, d’équations de droites, étudier l’intersection de deux droites par la résolution du système formé par leurs équations, etc…
La géométrie affine se décrit essentiellement à partir des points et de l’algèbre linéaire, c’est-à-dire la considération des applications linéaires, comme celles que nous avons introduites au début de l’article dans le plan euclidien. Une application linéaire de \(K^2\) dans \(K^2\) est donc exactement la même chose que ce que nous avons défini pour \(\mathbb R^2\). Dans ce cas il est également toujours possible de la décrire comme une fonction \(f:K^2\to K^2\) de la forme \(f(x,y)=(ax+by,cx+dy)\), avec \(a,b,c,d\in K\) cette fois-ci.
Des rotations dans n’importe quel plan
Lorsque nous avons introduit les rotations comme applications linéaires, nous les avons définies comme isométries vectorielles de déterminant 1. Une isométrie étant définie par préservation de la norme euclidienne des vecteurs, c’est-à-dire du nombre réel \(\sqrt{x^2+y^2}\) pour un vecteur \((x,y)\in\mathbb R^2\), il peut sembler impossible de définir une isométrie de \(K^2\) en général. En effet, dans certains sous-corps \(K\) on ne peut pas toujours extraire une racine carrée; c’est le cas par exemple de \(\mathbb Q(\sqrt 2)\), qui contient \(3\) mais pas \(\sqrt 3\). Il suffit cependant de préserver le carré de la norme pour préserver la norme, donc la définition ne pose pas de problème. Mais sur le plan « analytique », une rotation est une application linéaire \(f(x,y)=(ax-by,bx+ay)\) avec \(a,b\in\mathbb R\) et \(a^2+b^2=1\). Sans même considérer la norme, cette description signifie que tout ce que nous avons fait précédemment reste valable dans le plan \(K^2\) !
Une théorie purement algébrique
Bien sûr, dans ce plan le « cercle trigonométrique » est l’ensemble \(S_K=\{(a,b)\in K^2 : a^2+b^2=1\}\), c’est en général un sous-ensemble de \(S^1\) qui contient moins de points. Mais l’identification du groupe des rotations vectorielles de \(K^2\) et de \(S_K\) demeure valable, ainsi que la résolution des systèmes d’équations présentés ici. Ceci va à l’encontre d’une intuition naïve qui consisterait à penser que la théorie des rotations du plan est liée aux fonctions trigonométriques cosinus et sinus réelles, et ne peut donc être développée que lorsqu’on dispose de telles fonctions, ce qui n’est pas le cas sur les sous-corps de \(\mathbb R\) en général. En fait, il s’agit d’une théorie purement algébrique, et qui peut s’interpréter dans le cadre des algèbres de Clifford, un concept mathématique cher aux physiciens.

Le point \(M=(\frac{\sqrt 2}{2},\frac{\sqrt 2}{2})\), qui représente l’angle orienté \(\pi/4\), est dans le plan associé au sous-corps \(K=\mathbb Q(\sqrt 2)\) de \(\mathbb R\), mais le point \(N=(\frac 1 2, \frac{\sqrt 3}{2})\), qui représente l’angle orienté \(\pi/3\), ne s’y trouve pas, car \(\frac{\sqrt 3} 2\) n’est pas dans \(\mathbb Q(\sqrt 2)\).
Pour aller plus loin
Commencer en mathématiques : Mathesis I.1 – Entrer dans l’Univers Mathématique
0 commentaires