Implication matérielle et inférence logique : une confusion fréquente

Dans les discussions mathématiques, on entend parfois dire que « le faux implique n’importe quoi », et ce slogan est souvent déformé en : « à partir de quelque chose de faux, on peut démontrer que n’importe quoi est vrai », ce qui est parfaitement absurde. Ce malentendu logique qui surgit souvent en mathématique résulte d’une confusion fréquente entre l’implication, qui est une opération logique naturelle, et l’inférence logique, qui est une étape dans un raisonnement ou une démonstration. Nous allons préciser ce que sont chacune d’elles, pour les différencier et établir le lien subtil qui les unit, et qui explique sans doute le malentendu.

1.L’inférence logique

Wikipedia nous donne la définition suivante de l’inférence logique :

L’inférence est un mouvement de la pensée qui permet de passer d’une ou plusieurs assertions, des énoncés ou propositions affirmés comme vrais, appelés prémisses, à une nouvelle assertion qui en est la conclusion.

Inférence logique, Wikipedia (22/08/2023)

Autrement dit, l’inférence est une étape dans un raisonnement. Elle permet de passer d’une proposition vraie à une autre proposition vraie par une méthode logiquement valide (on distingue classiquement en général entre inférences déductives – du général au particulier – et inférences inductives – du particulier au général).

Exemple 1
i) On trouve chez Aristote des exemples de syllogismes dont le suivant, peut-être le plus célèbre : « Tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme, donc Socrate est mortel », contient une inférence déductive. En effet (jusqu’à preuve du contraire) tous les hommes sont mortels et Socrate est un homme : de ces deux prémisses vraies on peut déduire que Socrate est mortel.
ii) L’expérience montre qu’en hiver, s’il pleut on a tendance à s’enrhumer si on sort mal habillé. Le raisonnemnt causal : « C’est l’hiver, il pleut et il vente, donc si je sors mal habillé je risque de m’enrhumer » est un raisonnement qui met en oeuvre une inférence inductive. Elle repose sur des prémisses (c’est l’hiver, il pleut, il vente) et aboutit à une conclusion (si je sors mal habillé, je risque de m’enrhumer) à partir d’observations répétées.

Dans le cadre mathématique qui nous intéresse ici, les raisonnements se cristallisent dans des démonstrations. Dans un cas comme dans l’autre, il n’est toutefois licite de déduire des énoncés mathématiques vrais à partir d’autres énoncés mathématiques vrais, qu’en suivant certaines règles de démonstration, qui sont en (petit) nombre fini, et qui sont des cas particuliers d’inférences logiques, de type déductif (le raisonnement dit par récurrence ou parfois par induction s’apparente à une inférence inductive, mais il est utilisé sur le plan mathématique de manière déductive). Ces règles de démonstrations encadrent donc la pratique mathématicienne de la logique, et la démonstration de théorèmes et la résolution de problèmes s’appuient essentiellement sur la mise en oeuvre de l’inférence logique, dans une forme bien particulière.

2.L’implication matérielle

L’implication dite « matérielle » est la version mathématique, au sens de la logique classique, de l’implication qu’on emploie couramment dans le langage naturel. L’implication naturelle consiste à établir un rapport de vérité entre deux propositions $P$ et $Q$, qui se traduit sur le plan logique par la construction usuelle de la proposition suivante : « Si $P$, alors $Q$ ».

Exemple 2
Dans l’exemple 1(ii), à partir des propositions $P$ : « je sors mal habillé » et $Q$ : « je risque de m’enrhumer », on a en quelque sorte construit l’implication naturelle « Si $P$, alors $Q$ », soit « Si je sors mal habillé, je risque de m’enrhumer », conclusion du raisonnement inductif. Cette nouvelle proposition, qu’elle soit vraie ou fausse, n’énonce qu’un rapport de vérité entre $P$ et $Q$.

Or, si $P$ et $Q$ sont des propositions mathématiques, on forme ainsi une nouvelle proposition appelée « $P$ implique $Q$ », et qu’on note « $P\rightarrow Q$ ». Cette proposition doit traduire l’idée que si $P$ est vraie, alors $Q$ doit être vraie, au sens où $P\rightarrow Q$ est vraie exactement lorsque $P$ ne peut pas être vraie sans que $Q$ le soit. C’est la raison pour laquelle elle se comprend mieux à partir de sa négation : la proposition $P\rightarrow Q$ est fausse exactement lorsque $P$ est vraie et $Q$ est fausse, autrement dit lorsque la proposition « $P$ et non-$Q$ » est vraie.

Exemple 3
i) Si $n$ et $m$ dénotent des entiers naturels génériques, et si $P$ est la proposition « $n$ est un multiple de $m$ » (c’est-à-dire $m$ divise $n$) et $Q$ la proposition « $m$ est inférieur à $n$ » (c’est-à-dire $m\leq n$), l’implication $P\rightarrow Q$ est la proposition « Si $m$ divise $n$, alors $m$ est inférieur à $n$ ». Cette proposition est toujours vraie (quelles que soient les valeurs de $m$ et $n$), mais si $n$ et $m$ dénotent maintenant des entiers relatifs, elle est fausse en général, puisque par exemple pour $m=3$ et $n=-6$, $n$ est un multiple de $m$ (donc $P$ est vraie), tandis que $m$ est strictement supérieur à $n$ (donc $Q$ est fausse).
ii) Si $P$ est l’énoncé « $5<2$ » et $Q$ est l’énoncé « tout nombre réel positif est un carré », alors l’implication $P\rightarrow Q$ est vraie même si $P$ est fausse, puisque $Q$ est vraie (et qu’on n’est donc pas dans le cas où $P$ serait vraie et $Q$ serait fausse). Cet exemple montre également qu’on peut former une implication sans qu’il y ait de rapport évident de signification entre les deux propositions connectées (même si le procédé est artificiel).

En utilisant les règles usuelles du calcul booléen, ceci amène en logique classique à définir l’implication matérielle $P\rightarrow Q$ comme l’énoncé « ‘non-$P$ ou $Q$ », soit la négation de « $P$ et non-$Q$ », qu’on note symboliquement $\neg P\vee Q$, le symbole $\neg$ pour la négation (« non ») étant une opération prioritaire sur le symbole $\vee$ pour la disjonction (« ou »). Ainsi, l’implication de deux propositions mathématiques est une opération qui permet de construire à partir de deux propositions $P$ et $Q$ une nouvelle proposition $P\rightarrow Q$, dont le sens dérive de celui de $P$ et de $Q$.

3.Différences et relations mathématiques entre l’inférence et l’implication

L’inférence logique est l’étape d’un raisonnement ou d’une démonstration, notamment en mathématiques, tandis que l’implication matérielle est une opération sur des propositions mathématiques. Il s’agit donc de deux procédés de natures différentes, ce qui devrait suffire déjà à les distinguer. Ceci étant dit, elles portent toutes deux sur des propositions, d’où une confusion possible et regrettable. En principe, l’inférence logique porte sur des énoncés (c’est-à-dire des propositions « fermées », ayant une valeur de vérité), et sur des énoncés vrais, et ne produit comme procédé logique qu’un énoncé, vrai lorsqu’elle est valide. Par contraste, l’implication matérielle porte sur des propositions en général et produit à partir de deux propositions une nouvelle proposition : les valeurs de ces propositions, et en particulier leurs valeurs de vérités lorsqu’il s’agit d’énoncés, n’entrent pas en ligne de compte dans le procédé. Oui, mais… les énoncés sont des propositions, et si $P$ et $Q$ sont des énoncés tels que l’implication $P\rightarrow Q$ est vraie, alors de $P$ on peut déduire $Q$ : une telle implication entraîne donc une inférence, selon la règle dite du modus ponens, qui permet de déduire $Q$ de $P$ et $P\rightarrow Q$ ; on a donc tendance à confondre l’implication et l’inférence associée. Inversement, si de $P$ on peut déduire $Q$, alors pour des raisons de correction (une propriété des systèmes logiques), l’implication $P\rightarrow Q$ est vraie, d’où une confusion dans l’autre sens !

Exemple 4
i) Si l’implication « Si je sors mal habillé, je risque de m’enrhumer » de l’exemple 1 est considérée comme vraie, alors elle permet une inférence logique, de l’hypothèse « Je sors mal habillé » à la conclusion « je risque de m’enrhumer ».
ii) Si je peux démontrer (ce qui est une inférence logique) que pour $n$ et $m$ deux entiers naturels quelconques, la propriété « $m\leq n$ » est vérifiée dès que la propriété « $m$ divise $n$ » est vérifiée, alors je peux en inférer (!) que l’implication « Si $m$ divise $n$, alors $m$ est inférieur à $n$ » de l’exemple 3 est vraie.

Si l’on ajoute à cela qu’on peut en principe concevoir une inférence fausse (soit parce que les hypothèses sont fausses, soit parce que la règle logique employée est illicite), les différents cas de figure de l’inférence et de l’implication ne sont plus aussi faciles à distinguer, ce qui nécessite donc toujours de revenir aux définitions de ces deux procédés. Et ceci, même si certains textes de référence en mathématique confondent allègrement les deux !

4.Le faux implique-t-il n’importe quoi ?

4.1.Valeurs de vérité de l’implication matérielle

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