Produits, relations, applications [C1.II.1]
1. Couples d’objets
Dans cette première section, nous voulons définir rigoureusement la notion de « couple d’objets », grâce aux ressources de la théorie naïve des ensembles, pour pouvoir définir la notion de « produit cartésien ». Nous donnerons une caractérisation de l’égalité de tels couples à partir de leurs éléments.
1.1. Définir les produits cartésiens
Nous allons introduire une nouvelle opération fondamentale sur les ensembles, d’une autre nature que l’intersection et l’union, celle de produit cartésien de deux ensembles, qui permettra d’aborder les notions de relation et de fonction (ou application).
L’adjectif « cartésien » vient du nom du mathématicien et philosophe français René Descartes, qui a introduit les (axes de) coordonnées dans sa description dite « analytique » de la géométrie plane, ce qui est l’archétype de cette construction.

Cette notion de produit cartésien sous-tend également la description ensembliste des relations, fonctions et opérations mathématiques telles que $$=,<,\leq,+,\times,\ln,\cos,\sin,\exp,\ldots.$$ Il est donc essentiel de l’assimiler proprement.
Par exemple, rappelons que pour deux entiers naturels $a,b$, on écrit $a\leq b$ quand $a$ est inférieur (ou égal) à $b$; il s’agit (pour l’instant) d’un concept intuitif, que nous représenterons, et ainsi conceptualiserons, comme un certain ensemble, en utilisant un produit cartésien.
L’idée, simple, est de considérer la relation $\leq$ à travers sa « table », c’est-à-dire l’ensemble $T$ de tous les « couples » $(a,b)$ d’entiers naturels $a,b$ tels que $a\leq b$.
La table de la relation $\leq$ entre entiers naturels est représentée sur la figure suivante.

Nous pourrions introduire la notion de « couple » comme primitive : si $a,b$ sont deux objets, le « couple » $(a,b)$ est un objet « formé » des deux objets $a$ et $b$, dans cet ordre. Cependant, ceci serait redondant, puisque cette notion de couple peut être définie en utilisant la théorie des ensembles que nous connaissons déjà, comme nous allons le voir.
Notons d’abord que la notion intuitive de « couple » devrait respecter les contraintes suivantes :
i) Nous voulons distinguer le couple $(a,b)$ du couple $(b,a)$, autrement dit nous voulons conserver une trace de l’ordre (par exemple, on a $0\leq 1$, mais pas $1\leq 0$, donc $(0,1)$ est dans la table de $\leq$, tandis que $(1,0)$ n’y est pas)
ii) Si $(a,b)$ and $(a’,b’)$ sont deux couples d’objets tels que $(a,b)=(a’,b’)$, nous voulons que $a=a’$ et $b=b’$.
En fait, la condition (i) est une conséquence de la condition (ii), puisque si $a\neq b$ et (ii) est valide, alors $(a,b)\neq (b,a)$.
Une idée des plus naturelles serait de considérer l’ensemble $\{a,b\}$ comme le couple $(a,b)$. Cependant, les propriétés précédentes sont en défaut, puisqu’en général, on ne peut distinguer, dans les définitions par extension, les ensembles $\{a,b\}$ et $\{b,a\}$, qui sont toujours égaux par extensionnalité, puisqu’ils ont les mêmes éléments, $a$ et $b$, que $a=b$ ou non !
1.2. La notion ensembliste de couple d’objets
Heureusement, les ressources de la théorie des ensembles suffisent à conceptualiser rigoureusement cette notion, de la manière suivante.
Définition 1
Si $a$ et $b$ sont deux objets, le couple $(a,b)$ (ou la paire ordonnée $(a,b)$) est l’ensemble $\{\{a\},\{a,b\}\}$. L’objet $a$ est la première composante, l’objet $b$ est la seconde composante, du couple $(a,b)$.
Remarque 1
Notons qu’on fait ici un usage intuitif essentiel du concept d’objet, qu’on a considéré comme concept primitif dans le premier chapitre.
Cette définition peut sembler abstraite ou formelle au premier abord, mais elle permet de capturer ingénieusement et précisément le concept d’un couple d’objets, du moins tel qu’il a été esquissé et tel qu’on a besoin d’en faire usage en mathématique.
Par exemple, pour la première propriété, si $a\neq b$, alors le couple $(a,b)$ est différent du couple $(b,a)$ : en effet, on a $\{a\}\in (a,b)=\{\{a\},\{a,b\}\}$, tandis que $\{a\}\notin (b,a)=\{\{b\},\{a,b\}\}$ ! C’est bien sûr pour obtenir de telles propriétés qu’on définit ainsi le couple $(a,b)$.
Notons que si $a=b$, alors le couple $(a,a)$ est par définition l’ensemble $\{\{a\},\{a,a\}\}=\{\{a\},\{a\}\}$ (car $\{a,a\}=\{a\}$) $=\{\{a\}\}$. Cet ensemble ne contient qu’un élément, le singleton $\{a\}$.
En ce qui concerne la seconde propriété, nous l’énoncerons et la démontrerons ainsi :
Proposition 1
Si deux couples d’objets $(a,b)$ et $(a’,b’)$ sont égaux (comme ensembles), alors $a=a’$ et $b=b’$.
Démonstration
Nous distinguons deux cas : soit $a=b$, soit $a\neq b$. Si $a=b$, alors par définition et hypothèse, on a $\{\{a’\},\{a’,b’\}\}=(a’,b’)=(a,b)=\{\{a\},\{a,b\}\}=\{\{a\}\}$, et comme alors $\{a’,b’\}\in (a,b)$, on obtient $\{a\}=\{a’,b’\}$, car $\{a\}$ est le seul élément de $(a,b)$, et donc $a=a’=b’$ par extensionnalité (deux ensembles égaux ont par définition les mêmes éléments, voir le premier cours).
Si maintenant $a\neq b$, notons d’abord que le couple $(a,b)$ possède deux éléments distincts, $\{a\}$ et $\{a,b\}$. Comme $(a,b)=(a’,b’)$, on a $\{a’\}\in (a,b)$, et par ce qui précède soit $\{a’\}=\{a\}$, soit $\{a’\}=\{a,b\}$; comme $\{a,b\}$ a deux éléments par hypothèse (puisque $a\neq b$), la seconde possibilité est exclue, donc $\{a\}=\{a’\}$, et $a=a’$ par extensionnalité. Nous avons aussi $\{a’,b’\}\in (a’,b’)=(a,b)$, donc soit $\{a’,b’\}=\{a\}$, soit $\{a’,b’\}=\{a,b\}$; si $\{a’,b’\}=\{a\}$, alors $a=a’=b’$ et $(a,b)=(a’,b’)=(a’,a’)$ a un élément, $\{a’\}$, ce qui est exclu à nouveau; on obtient donc $\{a’,b’\}=\{a,b\}$. Comme maintenant $b’\in \{a,b\}$, soit $b’=a$, soit $b’=b$; si $b’=a$, alors $a=a’=b’$ et à nouveau $(a,b)=(a’,b’)$ possède un seul élément, ce qui est impossible. Par conséquent, on a $b=b’$ et la démonstration est terminée. $\square$
Remarque 2
i) Cette preuve est très détaillée, et nous supprimerons progressivement certains éléments évidents des arguments, pour ne pas surcharger le texte. L’étudiant(e) doit apprendre à interpréter les démonstrations en suppléant aux non-dits évidents.
ii) La démonstration utilise plusieurs raisonnements par cas et plusieurs raisonnements par l’absurde imbriqués. Il est normal d’éprouver de la difficulté à le suivre en entier la première fois. On apprend en faisant, et l’étude détaillée et la reproduction des preuves sont des étapes essentielles.
iii) Nous avons utilisé la signification intuitive des entiers naturels $1$ et $2$ dans le comptage des éléments de certains ensembles, ce qu’il n’est pas possible d’éviter, et illustre ce que nous voulions dire dans le premier cours lorsque nous affirmions que les entiers naturels sont des concepts primitifs en mathématique.
La figure suivante propose une représentation des couples et des singletons qu’on peut former avec deux éléments.

1.3. Exercices
Exercice 1
i) Soient $E=\{1,3,5,7\}$ et $F=\{2,4,6,8\}$. Ecrire tous les couples d’objets $(a,b)$ qu’on peut former avec $a\in E$ et $b\in F$. Faire la même chose avec $a\in F$ et $b\in E$.
ii) Ecrire une preuve détaillée de la première propriété des couples d’objets (c’est-à-dire que si $a\neq b$, alors $(a,b)\neq (b,a)$), comme corollaire de la proposition.
iii) Si $a,b,c$ sont trois objets, le {triplet} $(a,b,c)$ est par définition le couple $((a,b),c)$. Lister tous les éléments de $(a,b,c)$, qui sont des ensembles, puis les éléments de ses éléments.
2. Produits et relations
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