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Topologie de la droite réelle [C1.IV.2]

Comme nous l’avons vu dans [Axiomes et structure de la droite réelle], les propriétés axiomatiques de la droite réelle ont essentiellement trait à sa complétude. Cette propriété essentielle se décline sous la forme de propriétés dites « topologiques », qui concernent donc étymologiquement les « lieux » de la droite, autrement dit les comportements à proximité d’un point. Ici l’interprétation géométrique des nombres réels comme des grandeurs et finalement comme des points donnent à l’ensemble des nombres réels sa particularité à la fois géométrique et analytique, que nous introduisons ici en amont de la géométrie euclidienne, dans laquelle nous en ferons déjà usage.

1.Intervalles et bornes

Rappelons que la propriété essentielle concernant l’ordre naturel sur l’ensemble des entiers naturels, est que tout sous-ensemble $S$ non vide de $\mathbb N$ possède un plus petit élément (voir [L’Infini Mathématique, Exercice 1 (iii)]). Une propriété analogue, concernant les nombres réels, est celle dite de la « borne supérieure ». Elle est utilisée de manière ubiquitaire en analyse réelle, c’est-à-dire dans la théorie des fonctions réelles, et nous la démontrerons ici comme le théorème 2 (alors qu’elle peut aussi servir d’axiomatisation alternative de l’ensemble $\mathbb R$). Pour cela, il nous faut introduire et étudier en amont plusieurs concepts associés à l’ordre naturel sur les nombres réels.

Définition 1
Un segment de la droite réelle est un ensemble de la forme $[a,b]=\{x\in\mathbb R : a\leq x\leq b\}$, où $a$ et $b$ sont des nombres réels tels que $a\leq b$. Les nombres réels $a$ et $b$ sont appelées les extrémités, respectivement inférieure et supérieure, du segment $[a,b]$.

La notion de segment est à la fois analytique et géométrique : on dit que c’est une notion topologique. Un segment $[a,b]$ possède ainsi une « borne » supérieure et une « borne » inférieure qui sont ses extrémités. Toutefois, d’autres objets topologiques possèdent également de telles « bornes », sans que celles-ci en fassent toujours partie :

Définition 2
Un intervalle de la droite réelle (ou intervalle réel) est un sous-ensemble $I$ de $\mathbb R$ tel que pour tous $a,b\in I$ tels que $a<b$, le segment $[a,b]$ est inclus dans $I$.

La condition porte sur les éléments $a,b$ de $I$ tels que $a<b$, puisque si $a=b$, le segment $[a,b]$ est le singleton $\{a\}$, toujours inclus dans n’importe quel sous-ensemble $S$ qui contient $a$. Parmi les intervalles, on trouve les segments et tous les ensembles de la forme $]a,b[=\{x\in\mathbb R : a<x<b\}$, $[a,b[=\{x\in\mathbb R : a\leq x < b\}$ et $]a,b]=\{x\in\mathbb R : a<x\leq b\}$, pour $a,b\in\mathbb R$ tels que $a<b$. Rappelons qu’un intervalle de la forme $]a,b[$ avec $a<b$ est infini, donc aussi tout intervalle qui contient au moins $2$ éléments (voir [L’Infini mathématique :: Des sous-ensembles infinis de $\mathbb R$]). Ces différents types d’intervalles possèdent tous une « borne » inférieure et supérieure ($a$ et $b$ à chaque fois), mais ils ne possèdent pas toujours d’extrémités. C’est d’abord pour clarifier l’étude de ce type de situation que nous introduisons les concepts suivants.

Définition 3
Soit $S$ un sous-ensemble de $\mathbb R$.
i) Un majorant de $S$ est un nombre réel $M$ tel que $x\leq M$ pour tout $x\in S$; s’il existe un majorant de $S$, on dit que $S$ est majorée
ii) Un minorant de $S$ est un nombre réel $m$ tel que $m\leq x$ pour tout $x\in S$; s’il existe un minorant de $S$, on dit que $S$ est minorée
iii) Une borne de $S$ est un majorant ou un minorant de $S$. On dit que $S$ est bornée si $S$ possède un majorant et un minorant.

Exemple 1
i) L’ensemble $\mathbb R_-$ des nombres réels négatifs est majoré par $0$, mais aussi par tout nombre positif. En général, si $M$ est un majorant d’une partie $S$ de $\mathbb R$, alors tout nombre réel $x>M$ est aussi un majorant de $S$, et une partie majorée possède donc toujours une infinité de majorants.
ii) De même, une partie minorée possède une infinité de minorants, par exemple $\mathbb R_+$, dont tous les éléments de $\mathbb R_-$ sont des minorants.
iii) Un intervalle de la forme $[a,b]$, $]a,b[$, $[a,b[$ ou $]a,b]$ est majoré par tout nombre $M\geq b$, et minoré par tout nombre $m\leq a$.
iv) L’ensemble $\mathbb N$ n’est pas majoré dans $\mathbb R$, puisque par la propriété d’Archimède ([Axiomes et structure de la droite réelle, proposition 2]), pour tout nombre réel $x$ il existe un entier naturel $n>x$, ce qui contredit la définition 3 (i). En revanche, l’ensemble $\mathbb N$ est minoré, puisque tout entier naturel est positif.
v) L’ensemble $\mathbb Z$ n’est ni majoré dans $\mathbb R$ (par le point précédent), ni minoré, puisque pour tout $x\in\mathbb R$, il existe $n\in\mathbb N$ tel que $-x<n$, d’où $-n<x$.
vi) Si $S\subseteq \mathbb R$ est majoré (resp. minoré), et si $T\subseteq S$, alors $T$ est majoré (resp. minoré); cela découle immédiatement des définitions. Puisque $\mathbb Z\subseteq \mathbb Q$, l’ensemble $\mathbb Q$ n’est donc ni minoré, ni majoré.
vii) Si $S\subseteq \mathbb R$ est majoré par un nombre réel $M$, alors tout nombre réel de l’intervalle $[M,+\infty[$ est un majorant de $S$. De même, si $S$ est minoré par $m$, tout nombre réel de l’intervalle $]-\infty,m]$ est un minorant de $S$. En fait, l’ensemble des majorants et l’ensemble des minorants de $S$ sont des intervalles, infinis s’ils ne sont pas vides.
viii) Par définition, l’ensemble vide est majoré par tout nombre réel $a$. En effet, si ce n’est pas le cas alors par définition il existe $x\in\emptyset$ tel que $a<x$. Mais ceci contredit la vacuité de $\emptyset$, donc par reductio ad aburdum on en déduit que $a$ est un majorant de $\emptyset$. De même, tout nombre réel est un minorant de $\emptyset$. Ces constatations de nature purement logique sont inutiles à notre étude.

Définition 4
i) Un plus grand élément de $S$ (ou maximum) est un majorant $M$ de $S$ tel que $M\in S$
ii) Un plus petit élément de $S$ (ou minimum) est un minorant $m$ de $S$ tel que $m\in S$.

Remarque 1
Ces termes ont bien leur sens intuitif. La définition en donne ainsi une traduction rigoureuse dans le langage de la théorie des ensembles et de la logique mathématique naturelle.

Exemple 2
i) L’ensemble $\mathbb R_+$ des nombres réels positifs possède un plus petit élément, $0$, qui est un plus grand élément de $\mathbb R_-$.
ii) Tout segment $[a,b]$ possède $a$ comme plus petit élément et $b$ comme plus grand élément. Les intervalles de la forme $[a,b[$ ont $a$ comme plus petit élément, ceux de la forme $]a,b]$ ont $b$ comme plus grand élément, et les intervalles ouverts $]a,b[$ n’ont ni plus grand, ni plus petit élément.

Si différents majorants et différents minorants d’un même sous-ensemble de nombres réels existent (Exemple 1 (vii)), il ne devrait exister au plus qu’un plus grand élément et qu’un plus petit élément. Toutefois, nous n’avons défini qu’un plus grand élément et un plus petit élément : la définition n’exige pas de supposer qu’ils sont uniques, mais on peut – et on doit – le démontrer :

Proposition 1
Soit $S$ une partie de $\mathbb R$.
i) Si $S$ possède un plus grand élément, alors il n’en possède qu’un.
ii) Si $S$ possède un plus petit élément, alors il n’en possède qu’un.

Démonstration
i) Supposons que $M$ et $M’$ soient deux plus grands éléments de $S$. En particulier, on a $M,M’\in S$, d’où $M\leq M’$ (puisque $M’$ est un plus grand élément) et $M’\leq M$ (puisque $M$ est un plus grand élément). On a donc $M=M’$.
ii) On raisonne de la même manière qu’en (i). $\square$

On note $\max S$ le plus grand élément de $S$ lorsqu’il existe, $\min S$ le plus petit élément de $S$ lorsqu’il existe. Comme l’intuition nous le suggère, l’opposition additive des réels échange les notions de maximum et de minimum :

Proposition 2
Soit $S$ une partie de $\mathbb R$, et $-S=\{-x : x\in S\}$.
i) Si $S$ possède un plus grand élément, alors $-S$ possède un plus petit élément et on a $\min -S=-\max S$
ii) Si $S$ possède un plus petit élément, alors $-S$ possède un plus grand élément et on a $\max -S=-\min S$.

Démonstration
i) Soit $M$ le plus grand élément de $S$. En particulier, pour tout $x\in S$ on a $x\leq M$, donc $-M\leq -x$, puisque la multiplication par $-1$ renverse le sens des inégalités, donc $-M$ est un minorant de $-S$. Comme $M\in S$, on a aussi $-M\in -S$, donc $-M$ est le plus petit élément de $-S$.
ii) Soit $m$ le plus petit élément de $S$. En particulier, pour tout $x\in S$ on a $m\leq x$, donc $-x\leq -m$, donc $-m$ est un majorant de $-S$. Comme $m\in S$, on a aussi $-m\in -S$, donc $-m$ est le plus grand élément de $-S$. $\square$

Le minimum et le maximum de deux nombres réels $x$ et $y$ ont été définis à la section [Axiomes et structures de la droite réelle :: Valeur absolue, minimum et maximum]. Rappelons que si $n$ est un entier naturel, un $n$-uplet d’éléments d’un ensemble $E$ est une application $x:[[1,n]]\to E$, notée $(x_1,\ldots,x_n)$ (voir [Le nombre d’éléments, définition 7]). Nous pourrions alors définir par récurrence le maximum et le minimum d’un nombre fini $n$ (non nul) de nombres réels : pour trouver par exemple le maximum de $n$ nombres réels $x_1,\ldots,x_n$ avec $n\geq 2$, on trouve le maximum $M$ de $x_1,\ldots,x_{n-1}$, puis le maximum de $M$ et de $x_n$. Mais puisque nous disposons des notions de plus grand et plus petit élément d’un ensemble, pour lesquels nous avons adopté les mêmes notations $\max$ et $\min$, nous pouvons immédiatement les caractériser comme tels :

Corollaire 1
Soient $n\in\mathbb N^*$ et $x_1,\ldots,x_{n+1}$ des nombres réels (autrement dit un $n+1$-uplet $(x_1,\ldots,x_{n+1})$ de nombres réels).
i) Le plus grand élément de l’ensemble $\{x_1,\ldots,x_{n+1}\}$ existe et on a $\max\{x_1,\ldots,x_{n+1}\}=\max\{\max\{x_1,\ldots,x_n\},x_{n+1}\}$.
ii) Le plus petit élément de l’ensemble $\{x_1,\ldots,x_{n+1}\}$ existe et on a $\min\{x_1,\ldots,x_{n+1}\}=\min\{\min\{x_1,\ldots,x_n\},x_{n+1}\}$.

Démonstration
i) On procède par récurrence sur $n\geq 1$. Si $n=1$, le plus grand élément de l’ensemble $\{x_1,x_2\}$ existe, c’est le maximum de $x_1$ et $x_2$, et comme on a $\max\{x_1\}=x_1$, il vient $\max\{x_1,x_2\}=\max\{\max\{x_1\},x_2\}$, ce qui est l’égalité au rang $n=1$. Supposons que la propriété soit vérifiée pour $n\geq 1$, et que $x_1,\ldots,x_{n+2}$ soient $n+2$ nombres réels : par hypothèse de récurrence, le plus grand élément de $\{x_1,\ldots,x_{n+1}\}$ existe; notons-le $M=\max\{x_1,\ldots,x_{n+1}\}$. Par définition, pour tout $i=1,\ldots,n+1$ on a donc $x_i\leq M$, et donc pour tout $i=1,\ldots, n+2$, on a $x_i\leq N:=\max\{M,x_{n+2}\}$. Mais, par définition d’un plus grand élément, on a $M\in \{x_1,\ldots,x_{n+1}\}$, si bien que $N\in \{x_1,\ldots,x_{n+2}\}$, donc $N$ est le plus grand élément de $\{x_1,\ldots,x_{n+2}\}$.
ii) On raisonne de manière parfaitement analogue au cas (i).

1.1.Exercices de la section

Exercice 1
i) Montrer que tout nombre réel est un minorant de l’ensemble vide $\emptyset$.
ii) Si $a,b\in\mathbb R$, avec $a<b$, démontrer que $[a,b[$ n’a pas de plus grand élément, que $]a,b]$ n’a pas de plus petit élément, et que $]a,b[$ n’a ni plus grand élément, ni plus petit élément.
iii) Démontrer la clause (ii) du corollaire 1.

2.Suites monotones de nombres réels

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