Axiomes et structure de l’ensemble $\mathbb Z$ des entiers relatifs [C1.III.3]
Dans la première section de ce chapitre, nous avons énoncé rigoureusement les trois axiomes de Peano, concernant la fonction successeur $s:\mathbb N\to \mathbb N$, $n\mapsto n+1$, et nous en avons déduit de nombreuses propriétés de l’ensemble $\mathbb N$, ainsi qu’une définition des opérations usuelles $+$ et $\times$, et des relations d’ordre naturel $\leq$ et $<$.
Ainsi, toute l’arithmétique naturelle, c’est-à-dire la théorie opératoire et relationnelle des nombres entiers naturels, repose sur ces trois axiomes, qui déterminent entièrement l’ensemble $\mathbb N$. Ceci illustre la puissance et la fécondité de cette « méthode axiomatique », connue depuis l’Antiquité et de manière intuitive à travers la géométrie d’Euclide, mais appliquée ici à la racine de l’édifice mathématique de manière totalement transparente, grâce à la théorie naïve des ensembles.
Or, on peut prolonger la description de la « structure naturelle de l’ensemble $\mathbb N$ » grâce à l’axiomatique de Peano, par la construction, parfaitement rigoureuse, des ensembles $\mathbb Z$, $\mathbb Q$, $\mathbb R$ et $\mathbb C$, et ceci sans axiomes supplémentaires. C’est ce que nous aborderons au second semestre, à partir d’un approfondissement de la théorie des ensembles.
Dans ce chapitre, nous allons plutôt adopter une approche axiomatique pour la description de l’ensemble $\mathbb Z$, auquel nous prolongerons les opérations et relations naturelles de l’ensemble $\mathbb N$. Nous pourrons alors exposer la théorie arithmétique élémentaire des nombres entiers relatifs, passablement plus élaborée que l’arithmétique des entiers naturels, qu’elle approfondit de manière lumineuse grâce à la soustraction. Et ceci, bien qu’elle soit contenue en germe dans les trois petits axiomes de Peano qui ouvrent ce livre.
1. Description axiomatique de l’ensemble $\mathbb Z$
Comme nous l’avons fait pour l’ensemble $\mathbb N$ dans la section [L’arithmétique de Peano] et dans les chapitres 1 et 2, nous admettons ici l’existence d’un ensemble $\mathbb Z$ des nombres entiers relatifs, que nous concevons de manière intuitive comme dans le chapitre 1 (Entrer dans l’Univers Mathématique) et qui contient l’ensemble $\mathbb N$ comme sous-ensemble.
A ce niveau du cursus, nous ne démontrons pas « l’existence » de cet ensemble, mais nous en donnons une description par des axiomes, comme nous l’avons fait pour l’ensemble $\mathbb N$.
1.1. Axiomatisation de $\mathbb Z$ à partir de l’addition
Dans le chapitre 1 (ibid.), nous avons énoncé quelques propriétés élémentaires de l’ensemble $\mathbb Z$. La formulation d’un système d’axiomes consiste à exprimer de telles propriétés mais en les choisissant judicieusement, de manière à décrire l’essentiel de la « structure arithmétique » de cet ensemble, qui nous intéresse dans ce volume.
Ici l’approche la plus naturelle nous paraît consister dans l’axiomatisation de l’addition (et de la soustraction) des entiers relatifs, c’est-à-dire que nous admettons l’existence d’une application $+:\mathbb Z\times\mathbb Z\to \mathbb Z$, prolongeant l’addition des entiers naturels, et possédant les propriétés axiomatiques suivantes :
Axiome 1
i) Pour tout $n\in\mathbb Z$ on a $0+n=n$
ii) Pour tous $n,m\in\mathbb Z$, on a $n+m=m+n$ (l’addition est commutative)
iii) Pour tous $n,m,k\in\mathbb Z$, on a $(n+m)+k=n+(m+k)$ (l’addition est associative)
iv) Pour tout $n\in\mathbb Z$, il existe $m\in \mathbb Z$ tel que $n+m=0$ (tout élément possède un opposé pour l’addition).
Remarque 1
Dire que l’addition des entiers relatifs prolonge celle des entiers naturels, cela signifie que pour $n,m\in\mathbb N$, le résultat de l’opération $n+m$ dans $\mathbb Z$ (puisque $\mathbb N\subseteq\mathbb Z$) est la somme $n+m$ telle qu’elle a été définie à la section [L’addition des entiers naturels], ou encore, que l’addition $+_\mathbb N:\mathbb N^2\to \mathbb N$ des entiers naturels est la restriction de $+$ à $\mathbb N$, soit $+_\mathbb N=+|_{\mathbb N}$.
Par la propriété (iv) de l’axiome 1, tout nombre entier relatif possède un opposé pour l’addition : c’est la propriété fondamentale que ne possède pas l’ensemble $\mathbb N$ et qui fait l’intérêt arithmétique de l’ensemble $\mathbb Z$.
L’opposé additif $m$ d’un entier relatif $n$ est nécessairement unique : en effet, si $k\in\mathbb Z$ et $n+k=0$, alors on a $m=0+m$ (par (i)) $=m+0$ (par (ii)) $=m+(n+k)=(m+n)+k$ (par (iii)) $=(n+m)+k$ (par (ii)) $=0+k=k+0$ (par (ii)) $=k$ (par (i)). On note $-n$ l’opposé additif de $n$, et on définit la différence $n-m$ de deux entiers relatifs $n$ et $m$ comme l’entier relatif $n+(-m)$.
Définition 1
L’application $-:\mathbb Z\times\mathbb Z\to \mathbb Z$, qui associe à un couple d’entiers relatifs $(n,m)$ la différence $n-m=n+(-m)$, est la soustraction des entiers relatifs.
Les propriétés de l’axiome 1 ne suffisent pas à caractériser l’ensemble $\mathbb Z$, c’est-à-dire à le décrire de manière essentiellement unique. Pour compléter cette description axiomatique, il nous faut introduire un axiome fondamental qui permet de situer les entiers relatifs par rapport aux entiers naturels :
Axiome 2
Pour tout entier relatif $n$, soit $n$ est un entier naturel, soit $-n$ est un entier naturel.
On peut alors démontrer, dans le même esprit que [Axiomes et structure de l’ensemble $\mathbb N$, Problème 1], que l’ensemble $\mathbb Z$ ainsi décrit est « essentiellement unique ».
La soustraction possède des propriétés analogues aux propriétés axiomatiques de l’addition et associées à celles-ci. Mentionnons trois d’entre elles, élémentaires mais essentielles :
Proposition 1
Soient $m$ et $n$ deux entiers relatifs.
o) On a $-(-n)=n$
i) On a $-(m+n)=-m-n$
ii) On a $-(m-n)=n-m$.
Démonstration
o) Par définition, $-(-n)$ est l’unique entier relatif $k$ tel que $(-n)+k=0$, soit $0=(-n)+(-(-n))=0$. En ajoutant $n$ aux deux membres, il vient $n=0+n=(-(-n)+(-n))+n$ (par commutativité de l’addition) $=-(-n)+((-n)+n)$ (par associativité de l’addition) $=-(-n)+(n+(-n))=(-n)+0=-(-n)$, ce qu’il fallait démontrer.
i) Par définition, l’entier $-(m+n)$ est l’unique entier relatif $k$ tel que $(m+n)+k=0$. Or on a $(m+n)+(-m-n)=(m+n)+(-n-m)$ (par commutativité de l’addition) $=m+(n+(-n-m))$ (par associativité de l’addition) $=m+((n+(-n))-m)$ (par associativité à nouveau) $=m+(0-m)=m-m=0$, donc $-(m+n)=-m-n$.
ii) Par (i), on a $-(m-n)=-m-(-n)=-m+n$ (par (o)) $=n-m$. $\square$
Notons enfin que tout nombre entier relatif $n$ peut toujours se représenter comme la différence de deux nombres entiers naturels. Par exemple, si $n\in\mathbb N$ on a $n=n-0$, et si $n\notin \mathbb N$ on a $-n\in\mathbb N$ par l’axiome 2, d’où $n=0-(-n)$ par la proposition 1. Ces représentations « standard » ne sont toutefois pas uniques, et il existe pour tout entier relatif $n$ une infinité de représentations de $n$ comme différence de deux entiers naturels. En effet, si $n\in\mathbb N$, alors pour tout $k\in\mathbb N$ on a $n=(n+k)-k$, tandis que si $n\in\mathbb Z-\mathbb N$, alors pour tout $k\in\mathbb N$ on a $n=k-(k-n)$ (puisque $-n\in\mathbb N$). Et on a bien sûr $0=k-k$ pour tout $k\in\mathbb N$.
Exemple 1
Le nombre entier $2$ se représente par exemple comme $2=5-3$ ou encore $2=128-126$, et de manière générale pour tout entier naturel $k$, comme $2=(2+k)-2$. De même, l’entier $-5$ se représente par exemple comme $-5=5-10$, ou encore $-5=247-252$, et de manière générale comme $-5=k-(k+5)$ pour tout entier naturel $k$.
1.2. L’ordre naturel dans $\mathbb Z$
Par définition, l’addition des entiers relatifs « prolonge » celle des entiers naturels, au sens où la seconde est la restriction de la première à l’ensemble $\mathbb N$.
Une autre façon de le concevoir est de considérer que l’addition des entiers relatifs est un prolongement de celle des entiers naturels.
Or, la « structure naturelle » de l’ensemble $\mathbb N$, décrite au premier chapitre, fait aussi apparaître l’ordre naturel, défini à partir de l’addition dans la section [L’ordre sur les entiers naturels], sous sa forme d’ordre large $\leq$ ou d’ordre strict $<$ (dit linéaire).
Par analogie avec le prolongement de l’addition de l’ensemble $\mathbb N$ à l’ensemble $\mathbb Z$, on peut prolonger les relations d’ordre large et d’ordre strict à l’ensemble $\mathbb Z$.
Dans la section [Propriétés élémentaires des ensembles naturels] du chapitre 1 (op. cit.), nous avons remarqué les analogies, les relations et les différences intuitives entre l’ordre naturel sur $\mathbb N$ et l’ordre naturel sur $\mathbb Z$. Nous utilisons ici ces remarques pour définir ce dernier :
Définition 2
Si $n$ et $m$ sont deux nombres entiers relatifs, on dit que :
i) $n$ est inférieur (ou égal) à $m$, ce qu’on note encore $n\leq m$, si il existe un entier naturel $k$ tel que $n+k=m$
ii) $n$ est strictement inférieur à $m$, ce qu’on note encore $n<m$, si il existe un entier naturel non nul $k$ tel que $n+k=m$.
Par [Axiomes et structure de l’ensemble $\mathbb N$, définition 3 et proposition 7], on s’aperçoit immédiatement que l’ordre naturel et l’ordre strict dans $\mathbb Z$ prolongent respectivement l’ordre naturel et l’ordre strict dans $\mathbb N$, dans le sens où si $m$ et $n$ sont deux entiers naturels, alors on a $m\leq n$ dans $\mathbb Z$ si et seulement si $m\leq n$ dans $\mathbb N$, et $m<n$ dans $\mathbb Z$ si et seulement si $m<n$ dans $\mathbb N$.
Pour être absolument rigoureux, nous aurions du introduire une notation différente pour ces relations dans $\mathbb Z$ et leurs contreparties dans $\mathbb N$, mais cette dernière remarque permet précisément d’adopter de manière un peu abusive la même notation pour les relations d’ordre large et strict dans les deux ensembles.
Les propriétés élémentaires de l’ordre large sur $\mathbb Z$ sont les suivantes :
Proposition 2
Soient $m,n,k$ trois entiers relatifs.
o) On a $m\leq m$ (réflexivité)
i) Si $m\leq n$ et $n\leq m$, alors $m=n$ (antisymétrie)
ii) Si $m\leq n$ et $n\leq k$, alors $m\leq k$ (transitivité).
iii) On a $n\geq 0\Leftrightarrow n\in\mathbb N$.
Démonstration
o) On a $m+0=m$, et comme $0\in\mathbb N$, par définition on a $m\leq m$.
i) Par définition, il existe $k,l\in\mathbb N$ tels que $m+k=n$ et $n+l=m$, d’où $m+(k+l)=(m+k)+l=n+l=m$, et en ajoutant $-m$ aux deux membres on obtient $0=(-m)+m=(-m)+m+(k+l)=k+l$. Par [Axiomes et structure de l’ensemble $\mathbb N$, lemme 1(ii)], on a $k=l=0$, d’où $m=n$.
ii) Si $m\leq n$ et $n\leq k$, il existe $p,q\in\mathbb N$ tels que $n=m+p$ et $k=n+q$, si bien que $k=(m+p)+q=m+(p+q)$, et comme $p+q\in\mathbb N$, on a $m\leq k$.
iii) Si $n\geq 0$, alors par définition il existe $k\in\mathbb N$ tel que $0+k=n$, soit $k=n$, donc $n\in\mathbb N$. Inversement, si $n\in\mathbb N$ on a $0+n=n$, donc $0\leq n$. $\square$
Remarque 2
Par (iii), on a $\mathbb N=\mathbb Z_+=\{n\in\mathbb Z : n\geq 0\}$. Il s’ensuit qu’on a aussi $\mathbb Z-\mathbb N=\{n\in\mathbb Z : n<0\}$. Ainsi, si $n$ est un entier relatif, on a soit $n<0$, soit $n=0$, soit $n>0$.
En outre, la définition de l’ordre naturel par l’addition permet d’établir les relations suivantes entre les deux :
Proposition 3
Soient $m,n,k$ trois entiers relatifs.
i) Si $m\leq n$, alors $m+k\leq n+k$.
ii) Si $m<n$, alors $m+k<n+k$.
iii) On a $m\leq n$ si et seulement si $n-m\in\mathbb N$.
Démonstration
i) Si $m\leq n$, par définition il existe $p\in\mathbb N$ tel que $m+p=n$, d’où $(m+k)+p=m+(k+p)=m+(p+k)=(m+p)+k$ (par les propriétés de l’addition) $=n+k$; autrement dit, on a $m+k\leq n+k$.
ii) En exercice.
iii) Supposons que $m\leq n$ : par (i), on a $0=m-m=m+(-m)\leq n+(-m)=n-m$, donc $n-m\in\mathbb N$ par la proposition 2(iii). Inversement, si $n-m\in\mathbb N$, on a $0\leq n-m$, d’où $m=0+m\leq (n-m)+m$ (par (i)) $=n$. $\square$
L’axiome 2 se reformule sous la forme de la propriété de trichotomie suivante, déjà évoquée à propos de l’ensemble $\mathbb N$ ([Axiomes et structure de l’ensemble $\mathbb N$, proposition 8]), et qui reflète le caractère « total » de l’ordre naturel :
Proposition 4
Soient $m$ et $n$ deux entiers relatifs. Alors un et un seul des cas suivants est vérifié :
i) $m<n$
ii) $m=n$
iii) $m>n$.
Démonstration
Il s’agit d’une simple reformulation de la remarque 2, en remarquant que $m<n$ si et seulement $m-n<0$, $m=n$ si et seulement si $m-n=0$ et $m>n$ si et seulement si $m-n>0$. $\square$
1.3. Exercices
Exercice 1
i) Démontrer que le seul entier relatif $n$ tel que $n=-n$ est $0$. Indication : raisonner par contraposée en supposant que $n\neq 0$, et distinguer les cas, selon que $n\in\mathbb N$ ou $n\notin \mathbb N$.
ii) Supposons que $m,n,k\in\mathbb Z$ et que $m< n$. Montrer que $m+k<n+k$ (proposition 3(ii)). En déduire que si $m\leq n$, alors $m+k\leq n+k$.
iii) Démontrer la deuxième partie de la remarque 2, et en déduire la proposition 3 (compléter la démonstration).
2. La multiplication et la divisibilité dans $\mathbb Z$
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Les propriétés énoncées à la proposition 5 à propos de l’ensemble $\mathbb Z$ des entiers relatifs sont celles de « structures mathématiques » appelées « anneaux commutatifs unitaires », fondamentales en arithmétique, algèbre et géométriques. Ces structures seront abordées dès le Cycle 2 afin de donner une interprétation algébrique des résultats arithmétiques élémentaires que nous abordons ici.